Vieillir ou conduire, il faut choisir!

D’après Le Temps, le Bureau des préventions des accidents met en pleine lumière la manière de conduire des séniors. La prudence des séniors n’est, sans aucun doute, pas en cause, ni leur vigilante attention lorsqu’ils tiennent en mains le volant de leur voiture. Mais le résultat décevant ne s’en inscrit pas moins dans les statistiques.

La cause en est la diminution des réflexes, l’incertitude visuel, les tergiversations de plus en plus longue au fur et à mesure que l’organisme vieillit. Manifestement ne suffit plus la nécessité de la prévention – matérialisée en Suisse par l’examen médical régulier des chauffeurs les plus âgés.  (La France voisine ne connaît pas cette initiative de santé publique. Les politiciens craignent trop de se mettre à dos une partie de l’électorat, d’autant plus attachée à la conduite des voitures que l’automobile est un puissant symbole d’autonomie: on compense la perte d’autonomie physique par la mobilité choisie.)

Je n’incrimine pas la médecine libérale. Je constate cependant que, dans ce domaine –comme, en France, dans celui des ‘arrêts-maladie’ au profit des salariés – la question place le médecin face à un dilemme difficile à trancher: sauvegarder la santé publique ou fâcher son patient. Mais le fait est là, qui conduit la journaliste du Temps à proposer un titre accrocheur: «Aïe, dès 75 ans, les automobilistes provoquent cinq fois plus d’accidents!» Le journal en formule le corollaire: «Vieillir ou conduire, faut-il choisir? Partagée entre sécurité et liberté, notre chroniqueuse a de la peine à trancher.»

Ce dilemme n’est pas nouveau. Il est posé depuis longtemps par les effets du tabac; il fut reposé récemment –et se reposera certainement– par la pandémie du virus couronné: le législateur doit-il, au nom de la santé publique, imposer des pratiques restrictives des libertés individuelles? La réponse repose sur un arbitrage délicat où la sensibilité populaire joue le rôle principal, sensibilité particulièrement instable, comme le montrent les mouvements d’opinion concernant les habitudes alimentaires aux effets écologiques reconnus, sans parler des mœurs individuelles touchant les relations interpersonnelles en recomposant les familles.

Mais quelle que soit la difficulté de cet arbitrage politique, les politicien(ne)s ne sauraient tirer leur épingle du jeu en se cachant derrière les statistiques. Ce serait déchoir de leur dignité humaine en se soumettant à la dictature du chiffre. Ce serait surtout ouvrir la carrière de cette posture injuste qui classe les individus, non en fonction de leurs capacités spécifiques et de leur responsabilité personnelle, mais en fonction de la catégorie statistique dans lesquelles ils sont classés.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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