«Trouver une bonne raison»

«Merci de votre compréhension». Ainsi se concluait une petite affichette placardée sur la porte d’une épicerie de la rue Victor Hugo à Lyon. Cette affiche annonçait simplement au ‘chers clients et chères clientes’ la fermeture de la boutique les 15 et 16 avril prochain.

Je suis prêt à tout comprendre; mais, ici, comprendre quoi? De quelle compréhension s’agissait-il pour que j’en sois remercié? Car, n’ayant pas fourni la raison de cette fermeture exceptionnelle, il n’y avait rien à comprendre. Du coup, je n’ai rien compris. À moins que le boutiquier ne compte sur mon imagination pour trouver une bonne raison de cette fermeture inhabituelle. Je peux penser qu’il occupe ces deux journées ‘ouvrées’ à établir son inventaire annuel; ou qu’il anticipe le week-end pour une fête de famille, à la manière du conte de Maupassant où une ‘maison de passe’ est fermée pendant deux jour ‘pour cause de communion solennelle’ (sic) – honorant ainsi paradoxalement le qualificatif attribué parfois à ce type d’établissement, ‘maison close’; je peux aussi suggérer que le boutiquier est malade, ou encore qu’il consacre ces deux jours aux soins attentifs de son épouse. Peut-être, simplement, n’a-t-il pas pu résister à l’appel du plaisir de glisser sur les pentes neigeuses…

L’imagination n’en finit pas de trouver de bonnes raisons. Il est vrai que l’on peut justifier beaucoup de choses par la raison. Les récits du marquis de Sade en sont la preuve; et les discours politiques en donnent chaque jour d’abondantes illustrations, dès qu’ils oublient que ces principes raisonnables de portée universelle cachent le plus souvent un choix subjectif en faveur de certains intérêts particuliers et au détriment d’autres.

Au bout de cette logique de compréhension, je découvre l’argument de René Girard inversant la formule du général prussien Carl von Clausewitz: «la guerre est la politique poursuivie par d’autres moyens (sous-entendus autres que la parole et la négociation qui sont le pain quotidien de la politique)». René Girard prétend que la véritable pensée, inavouée, de Clausewitz serait l’inverse:

«la politique –et il y mets les armistices, les suspensions d’agressions violentes– n’est que la guerre poursuivie par d’autre moyens.»

On peut discuter de l’interprétation de ce spécialiste (mondialement connu) de la violence, mais certainement pas du fait que, dans bien des cas, les passions hostiles submergent toute tentative de compréhension. L’agression de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine en est la preuve. Ce qui me conduit à ne pas vouloir toujours chercher à comprendre ce qui échappe à toute raison. D’ailleurs, ai-je une bonne raison d’écrire un tel blog? Le lecteur en jugera.

Que la fermeture de la boutique de la rue Victor Hugo les 15 et 16 avril échappe à ma raison – même si elle n’est pas sans raison, c’est évidemment frustrant pour mon esprit cartésien; mais l’accepter est aussi sagesse, respect pour le boutiquier qui, dans ce cas, passant au-dessus de la frustration de ses ‘chers clients et chères clientes’ –et au risque d’en perdre quelques-uns– estime ne pas avoir à étaler sur la porte de son échoppe ses motivations intimes.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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