• © CERN/Brice, Maximilien

Tripler la longueur du LHC

Le Large Hadron Collider (LHC) –en français le grand collisionneur de hadrons– dont l’anneau de vingt-sept kilomètres relie sous terre le canton de Genève au pays de Gex dans la France voisine, a largement rempli son office. En 2012, avant même son amélioration achevée voici bientôt dix ans, le LHC a notamment permis de vérifier une hypothèse fondamentale de la physique des particules: l’existence du boson de Higgs, champ de force qui donne une masse à certaines particules élémentaires. En vérifiant quelques hypothèses scientifiques et en permettant d’en exclure d’autres, le LHC a permis de réelles avancées scientifiques.

Selon une logique souvent oubliée par les vulgarisateurs, mais que connaissent bien les scientifiques, ces nouvelles connaissances ont ouvert la carrière non seulement à de nouvelles questions, mais aussi à de nouveaux espoirs de réponse à des questions posées depuis plusieurs décennies. Parmi ces questions lancinantes, la plus prégnante est certainement celle de la matière dite ‘noire’, dont on voit les effets à l’échelle astronomique dans le cheminement des étoiles et des galaxies, mais dont on ignore l’origine. Parmi les hypothèses avancées, celle d’une particule subatomique encore non découverte est certainement l’enjeu le plus spectaculaire de la mise en place d’un LHC encore plus puissant que l’actuel. D’autres découvertes seraient certainement possibles à l’aide de ce nouvel instrument.

Est donc envisagé un LHC de nonante et un kilomètres. Immédiatement, la question du coût est posée. D’après les premières estimations, quelques vingt milliards d’euros serait, au bas mot, nécessaires pour mettre en place un tel engin. Comme pour le LHC actuel, le coût serait réparti entre les divers pays volontaires qui acquerraient ainsi un droit d’utilisation au prorata de leur quote-part. Même ainsi réparti, le coût de cet instrument scientifique reste impressionnant. Se lèvent alors les protestations attendues de la part de ceux qui pensent que l’argent serait mieux utilisé dans des dépenses productives, écologiques ou sociales plutôt que dans la recherche fondamentale.

J’épingle ces protestations, car elle me semblent de courte vue. D’abord, en bon Français, je compare ces vingt milliards d’euros à d’autres montants, en particulier la dette de la SNCF qui s’élève à près du double. Ensuite, en être humain animé comme tous les habitants et habitantes de la planète, je ne suis pas poussé simplement par la libido du plaisir ou celle du pouvoir, mais également par la libido du savoir. Libido sciendi comme disaient les théologiens du Moyen-Âge. Certes, le savoir ne rime pas toujours avec la morale –contrairement à ce que prêtres, pasteurs et instituteurs pensaient à la fin du XIXe siècle où circulait l’adage «ouvrir une école, c’est fermer une prison».

Mais le savoir fait partie de la dignité de l’être humain.

Enfin, il est manifestement faux de penser que la recherche fondamentale n’a pas de retombées pratiques utiles pour l’humanité. Je ne suis pas naïf et je suis conscient que ces retombées ne sont pas réparties avec toute la justice souhaitable, et qu’elles permettent également de rendre plus terrible les armes de destruction. Ce qui ne justifie pas une posture obscurantiste qui refuse les moyens financiers nécessaires à la recherche fondamentale.

Et si ce gigantesque LHC, une fois en fonctionnement, ne trouve rien?

Hugo Lisoir, animateur de la chaîne Youtube Dernière nouvelle des étoiles, répondait avec bon sens le 13 février dernier: «Ne rien trouver, c’est déjà quelque chose, car ça permet d’écarter certaines hypothèses.»

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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