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Secret d’État ou corruption?

Une nouvelle affaire de corruption dans l’Union européenne? Après le parlement européen, la Commission? Peut-être pas. L’affaire n’est pas venue sur la place publique par la voie habituelle: les médias européens d’investigation, de surface nationale ou au-delà, comme Le canard enchaîné ou Le Monde, pas même par la voie institutionnelle normale que serait la Commission des finances du Parlement européen ou la Cour des comptes de l’Union européenne. L’affaire a été soulevée par le New-York Times qui, début février 2023, a engagé devant la Cour de justice de l’Union européenne, une poursuite judiciaire contre la Commission européenne pour la contraindre de divulguer les SMS échangés entre Mme Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission, et le laboratoire pharmaceutique américain Pfizer.

L’Enjeu en est la transparence exigée par les lois européennes s’appliquant à la Commission s’agissant des contrats commerciaux qu’elle est habilitée à signer. En l’espèce, il s’agissait de l’achat de 1,8 milliards de doses de vaccins contre le virus de la covid-19. (On ne sait que faire aujourd’hui des doses en surnombre… déjà payées.) L’achat fut, semble-t-il, négocié par Mme von der Leyen au début de l’année 2021 pour une somme qui, à la demande du laboratoire –concurrence oblige–, n’a pas été dévoilée, mais qui s’élève, selon les estimations de journalistes spécialisés, à plus de 25 milliards de dollars. De là à soupçonner quelque malversation derrière cette inconnue, il n’y a qu’un pas. Saisi de la question, la Médiatrice au sein des instances européennes a fermé le dossier sous le prétexte d’une simple erreur administrative (de communication?)

Que le New-York Times et ses lecteurs trouvent un intérêt à cette transparence ne peut pas étonner. Car la corruption de fonctionnaires étrangers fait partie des interdits légaux aux USA (d’ailleurs depuis plus longtemps qu’en Europe qui ne s’est ralliée à cette interdiction qu’après avoir ratifié au début des années 2000 le protocole anti-corruption proposé par l’OCDE).

Certes, malgré les apparences, Mme von der Leyen n’est pas une élue. Contrairement à ce que pourraient laisser penser certains médias qui la suivent à la trace de l’Ukraine (quatre fois durant l’année 2022) à Manille, elle n’est pas Présidente de l’Union européenne; elle n’est que Présidente de la Commission qui n’est qu’un organe exécutif. Mais cet organe –la Suisse s’en est aperçu très vite– jouit d’une forte dimension politique, renforcée par la crise du covid 19 et la guerre en Ukraine, au moment même où le Parlement européen voyait son image ternie par les affaires de corruption relative à l’attribution de la coupe internationale de football au Qatar.

Touchant la démarche du New-York Times, la Commission Covid du parlement européen avait d’ailleurs en son temps convoqué les directeurs des principaux laboratoires internationaux susceptibles de fournir des vaccins anti-covid. Alvértos Bourlà (alias Albert Bourla) DG de Pfizer n’est pas venu, bien que par deux fois il fut invité à éclairer la lanterne des élus. La présidente de la Commission n’est pas venue non plus. Il est vrai qu’elle n’y était pas réglementairement tenue. Mais de telles réticences ne peuvent que renforcer les soupçons de corruption.

Je ne me précipite cependant pas pour transformer le nom ‘Ursula von Leyen’ en ‘Ursula von Pfizer’, selon le jeu de mot évoqué par le chroniqueur Vincent Hervouet sur la chaine de radio Europe 1 (mercredi 15 février 2023). Je sais trop les intérêts contradictoires qui minent les affaires internationales – y compris commerciales. Je ne peux cependant que regretter l’imprudence des responsables européens qui se sont, sans discernement, jetés encore une fois à corps perdu dans les bras de l’Oncle Sam.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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