• Napoléon recevant la députation espagnole aux portes de Madrid, par Carle Vernet © Wikimedia Commons

Représailles et concordance des temps

Fin janvier, trois soldats américains sont morts en Jordanie d’une frappe attribuée à une milice pro-iranienne. Selon le journal Le Temps du 30 janvier, le Président Joe Biden «a promis des représailles». J’épingle ces mots, non pas qu’ils soient nouveaux, mais parce que le mot ‘promesse’, tout comme les multiples menaces proférées de son côté par le Président Poutine, me permet d’inscrire la guerre –ici celle du Hamas contre Israël, là celle de la Russie contre l’Ukraine– pas simplement dans la polémologie, cette science des conflits, mais dans la concordance des temps, comme disait mon instituteur à la suite des grammairiens. Car la promesse porte sur un avenir. Et l’avenir, comme disait le vieil Hugo, n’est à personne.

La chose n’est pas nouvelle. Dès que nous subissons un malheur attribuable à une personne ou à une institution humaine, nous nous promettons de compenser notre douleur –qui est souvent également notre humiliation– en infligeant plus tard une douleur semblable ou plus grande à l’adversaire (car la vengeance est un plat qui se mange froid). Après la défaite française en 1870 contre la Prusse, les édiles de l’Hexagone parlaient volontiers de la ‘revanche’ (pour ne pas dire de la vengeance). Après la défaite allemande de 1918, Adolf Hitler n’a eu de cesse de rééquilibrer le pouvoir de l’Allemagne pour infliger aux vainqueurs de Verdun une défaite humiliante face au IIIe Reich, humiliation dont ils ne devaient pas –pensait-il– se relever.

Vladimir Poutine, tout comme son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, promettent –pour demain– l’écrasement de l’adversaire.

Officiellement, chacun des belligérants ne cherche qu’à ‘rétablir l’équilibre’ rompu par l’adversaire. Il entre ainsi, sans le savoir, dans la logique bien décrite par le général prussien Carl von Clausewitz dans son ouvrage De la guerre. Réfléchissant sur les guerres napoléoniennes, ce stratège ne se contenta pas d’inscrire la guerre dans «la politique poursuivie par d’autres moyens» (ce qui suppose que les armées soient soumises au pouvoir du souverain, ce qui est loin d’être toujours certain). Il mit au jour, dans le même mouvement, la logique autonome de la guerre, celle de la réciprocité (on rend coup pour coup), du mimétisme (on utilise les mêmes moyens) et –ce qui en est la conséquence– de la «montée aux extrêmes». La logique de la guerre ne s’arrête que par l’anéantissement de l’adversaire, quitte à se faire du mal à soi-même. C’est en quelque sorte le ressentiment à l’échelle des nations. Du coup, inversant la phrase de Clausewitz,

la politique ne serait que la guerre poursuivie par d’autres moyens. C’est là où s’insère la ‘promesse’.

Dans ce cadre de la politique conçue comme la guerre poursuivie par d’autres moyens, toute négociation, toute armistice, toute suspension d’hostilité ne peuvent apparaître aux yeux des belligérants que comme un délai avant la reprise des combats, délai mis à profit pour réparer les brèches et se préparer à un nouvel assaut. C’est ce délai que chacun se donne à peu de frais en promettant, pour l’avenir, des ‘représailles’. Comme toutes les menaces, celles proférées par le Président Biden contre l’Iran, tout comme celles proférées par le Président Poutine contre l’Occident, sont supposées impressionner l’adversaire, voire le déstabiliser et l’affaiblir en touchant son ‘moral’. C’est une illusion.

 

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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