• Standard Chartered headquarters in London @ Wikimedia Commons

Qu’est-ce qu’une vraie banque?

Début mars, pour Le Temps, le président de la banque britannique Standars Chartered, José Viñals, délivrait un magnifique message: «Face à la multiplication des défis qui l’attend, le secteur bancaire doit apporter des solutions et prouver son utilité comme ce fut le cas durant la pandémie.» Qui ne souscrirait à de tels objectifs face aux soubresauts écologiques et militaires européens! Les moyens préconisés restent cependant assez flous: «Les banques ne doivent pas oublier d’être des banques.» D’où ma question: qu’est-ce qu’une vraie banque? Ma réponse: une vraie banque est une banque qui ne mélange pas ses divers métiers.

La question se pose en particulier pour Standars Chartered, l’une des trente premières capitalisations de la Bourse de Londres, créée au milieu du XIXe siècle par une charte royale (d’où son nom) pour financer le développement colonial anglais, présente actuellement dans une multitude de pays du Sud, une bonne part de ses profits viennent d’Asie. C’est l’exemple-type de la banque ‘universelle’, à la fois banque commerciale et banque privée, elle vend des produits structurés, et des services bancaires classiques, propose des crédits immobiliers, des crédits aux PME, offre des services de conservation de titres, de gestion de fonds; elle vend également une vaste panoplie d’assurances. Bref, à la fois banque de détail, banque en ligne, assureur et opératrice active sur les marchés financiers,

Standard Chartered aurait-elle oublié d’être une banque pour que son président lance une telle incantation?

Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. Celle qui me semble le plus utile (puisqu’il s’agit de ‘prouver son utilité’) est de séparer, financièrement autant que techniquement les différents métiers rassemblés aujourd’hui dans la ‘banque universelle’. Émission de produits structurés, organisation de crédits syndiqués, gestion de fonds, tout cela place, sous le même chapeau financier, des clients aux intérêts opposés. Cette situation, dite de ‘conflit d’intérêt’ est légalement interdite en France depuis un édit signé par… le roi Henri IV! Mais chacun sait en France que la loi n’est guère opératoire, surtout quand elle est noyée dans un océan de décrets, règlements, protocoles, procédures et rubriques.

Jadis, on distinguait les banques de dépôt et les banques d’affaire. Avec la banque universelle, telle Standard Chartered, toutes ces distinctions n’ont plus guère de sens aujourd’hui.

À mon avis, c’est dangereux. La banque universelle présente certes l’avantage d’élargir son assise financière et, en diversifiant ses activités, d’être moins sujette aux risques de marché et de contreparties. Mais, à l’image d’une voiture rapide dotée de freins puissants, cette sécurité financière incite les banquiers à prendre davantage de risques qui, le dommage échéant, sera supporté par le contribuable (puisqu’elles deviennent, selon l’expression consacrée «trop grosse pour faire faillite» et peuvent toujours compter sur le sauvetage par la puissance publique).

On aura compris que, profitant du calme financier actuel, je milite ici pour la séparation des divers métiers de la banque selon les marchés et les actifs traités. Pour les USA un retour au Glass-Steagall Act de 1933 qui, pour lutter contre la grande crise, instaurait l'incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, assorti d’un système d’assurance fédérale des dépôts bancaires dont les taux de rémunération étaient limités. Ce Banking Act fut supprimé en 1999, au nom de la liberté bancaire et de la fluidité financière. Avec les effets désastreux qui ont suivi.

Pour notre pays voisin, sans nécessairement revenir formellement à la loi de 1945 séparant banques de dépôts (qui ne pouvaient prêter qu’à une échéance inférieure à deux ans – élargie par la suite à trois ans) et banques d’affaire (supposées prêter sur leur fonds propres), il me semblerait bon de revenir sur le décloisonnement de 1966 (boosté par la dérégulation de 1984).

Pour l’instant, on s’est contenté d’obliger les banques à renforcer leurs fonds propres, et de promouvoir des fonds européens de garantie. C’est insuffisant face à la débâcle généralisée que provoquerait au détriment de toutes les banques européennes l’élargissement de la guerre fomentée par la Russie à l’Est de l’Europe.

 

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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