Pouvoir contesté à la tête des organisations

Quelques jours avant Noël, un coach de managers en Suisse romande, dans un blog du Temps (16 décembre 2022), épinglait le fantasme qui s’étale dans les médias concernant le pouvoir dans les organisations. Avec juste raison, il soulignait la complexité de la gestion managériale, l’incertitude croissante de l’environnement législatif, économique et géostratégique. Il évoquait «les vicissitudes du monde des organisations: inflation, manque de main-d’œuvre qualifiée, livraison indigente de composants électroniques, ruptures éventuelles d’électricité et cette liste est loin d’être exhaustive».

Comme Napoléon choisissant ses généraux, il remarquait que, pour réussir dans ce monde semé d’embûches, il fallait avoir de la chance. Ce qui prouve une connaissance certaine des situations concrètes. Finalement, ce coach trouvait que les rémunérations des dirigeants ne justifiaient pas la haine suscitée contre eux. Bref, rien de démoniaque dans ce pouvoir managérial exercé, non par des surhommes généralement qualifiés de brutaux, odieux et manipulateurs, mais simplement par des responsables résilients.

Je serais entièrement d’accord avec le propos s’il n’était parsemé de quelques affirmations malencontreuses ternissent l’argumentaire. «Le pouvoir ne repose que sur la légalité, les règlements et le droit», prétend le blogueur. Hélas non. Même s’il se coule sans rouerie dans les contraintes notifiées par les sciences, les obligations imposées par les règlements et les attentes déontologiques voulues par la société, il faut de plus au manager des qualités morales. La première, mise en avant par Aristote, est bien sûr la prudence, qui n’est pas la pusillanimité cachée derrière le principe de précaution, mais l’intelligence des situations concrètes. Les autres vertus cardinales ne sont pas moins importantes: la justice qui vise l’ajustement des libertés des équipes et des subordonnés; la force, qui n’a rien de la violence mais tout de la maîtrise de soi, comme le rappelle la dernière de la liste, la tempérance. Toutes ces vertus sont nécessaires au pouvoir. Elles témoignent que le pouvoir ne naît pas de la loi, encore moins du néant.

Le coach blogueur du Temps semble en outre se tirer une balle dans le pied lorsqu’il écrit: «Le cadre dirigeant n’est nommé qu’après un parcours initiatique parsemé d’embûches.» L’expression ‘parcours initiatique’ détruit la bonne impression laissée par l’argumentaire; pour ceux qui connaissent encore la tradition chrétienne, le parcours initiatique fait penser aux sectes gnostiques; pour la culture moderne, elle évoque la franc-maçonnerie, elle fait soupçonner des connivences et des cooptations qui ne riment pas toujours avec la compétence, surtout quand l’auteur ajoute: «Des gardiens du seuil empêchent d’entrer ceux qui n’en sont pas dignes (sic).»

Faut-il rappeler que le pouvoir n’est pas simplement –ni toujours– un droit hiérarchique juridiquement acté; c’est la capacité de rendre incertain l’avenir de ses partenaires. Cette capacité ne dépend pas toujours de l’organigramme. C’est la raison pour laquelle le pouvoir, pris dans l’articulation de compétences pointues (rares sont les organisations qui en sont exempts), appelle un complément nécessaire, l’autorité. L’autorité ne relève pas simplement du charisme personnel du dirigeant; elle se cultive en s’astreignant à proposer aux partenaires des objectifs précis, en lui fournissant des moyens adaptés, tout en lui assurant que les risques –inévitables– seront partagées.

Finalement, je rejoints le blogueur du Temps en constatant que, vues les qualités humaines et techniques que nécessite le management des organisations en situation complexe «les postulants ne se précipitent pas au portillon, et les chasseurs de têtes doivent se surpasser pour trouver des cadres dirigeants». Ce qui ne justifient pas certaines rémunérations pharaoniques. Mais, comme disait Kipling, ça, c’est une autre histoire.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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