Neutralité politique de l’enseignement

Sous la Troisième République française, les candidats aux élections rassemblaient leurs supporters sous les préaux des écoles. Mais il ne s’agissait alors que de trouver un lieu abrité de la pluie. Aujourd’hui, dans les écoles du canton de Vaud, sur l’injonction (le 8 août dernier) d’un conseiller d'État, seront interdis les débats de candidats aux élections fédérales (dont le premier tour est fixé au 22 octobre prochain). Un recours auprès de la Cour constitutionnelle est en marche. Aux vues de la raison invoquée «la neutralité de l’enseignement» dans le cycle obligatoire, il ne s’agit manifestement pas du même contexte.

Ici, il ne s’agit pas simplement d’abriter face aux intempéries les candidats en mal de lieu de rassemblement, il s’agit de débat politiques devant des élèves du cycle obligatoire. Sans me prononcer sur la légalité de l’ordonnance prise par le conseiller, ni sur la suite que la Cour constitutionnelles donnera au recours, je comprends l’émoi des candidats.

S’il s’agit d’éviter aux enfants de se mêler trop tôt des conversations réservées aux grandes personnes, la question n’est plus une question de principe (la neutralité de l’enseignement), mais une question que les moralistes nomment ‘prudentielle’. En référence au philosophe Aristote pour qui la prudence (première des quatre vertus cardinales) n’est autre que l’intelligence des situations concrètes en vue d’une décision (électorale) discernée. La question devient alors: à partir de quel âge les élèves peuvent-ils entendre avec profit des débats politiques?

Connaissant peu les milieux scolaires ni la maturité des élèves du cycle obligatoire touchant leur sensibilité civique et politique, je suis mal armé pour répondre à cette question prudentielle. Mais j’aurais plutôt tendance à situer la question à ce niveau-là. Pour deux raisons: la première –négative– est que l’appel aux principes universels n’est le plus souvent que le cache misère d’une position idéologique, voire d’un intérêt de groupe ou personnel. Je ne m’abaisserais pas à soupçonner le conseiller d’État de craindre la diffusion dans l’atmosphère scolaire d’idées qui contreviendraient aux siennes.

Certes, l’appel aux principes universels, quoique très desséchante pour l’esprit, reste une bonne stratégie politique: sauf en cas d’injustice flagrante, il n’est guère judicieux en effet de revendiquer trop fort des avantages catégoriels. Dès que l’on manifeste en corps, c’est toujours au nom de l’intérêt général. En oubliant que l’intérêt général n’est jamais la somme des intérêts particuliers; il s’incarne toujours différemment pour les uns ou pour les autres. C’est ce qui a conduit tous les penseurs d’esprit libéral (je pense, pour le XIXe siècle, aux Français Alexis de Tocqueville et à Benjamin Constant, l’ami de Mme de Staël) à se méfier de tout système constitutionnel qui donne un pouvoir sans contrepartie à une majorité ou à un organisme sans contre-pouvoir.

La seconde raison qui me pousse à placer cette question du côté des jugements prudentiels est d’ordre pédagogique. Si l’on veut entraîner les enfants des écoles à cultiver l’esprit critique, il faut les habituer à entendre, dans le respect mutuel, des opinions divergentes. Une laïcité intelligente trouverait ici un point d’appui. L’expérience le prouve, l’attention à une pluralité d’opinants libère l’esprit de l’auditeur. On se sens plus libre lorsque l’on peut se rapporter, selon son éducation, son tempérament, son ‘idiosyncrasie’ comme disent les gens savants, soit à une option, soit à une autre. C’est du bon sens, que résume le proverbe bien connu –et que j’ai honte de rappeler ici: «Quand on n'écoute qu’une cloche, on entend qu’un son.»

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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