Naturisme ou les raisons de vivre dévêtu

Le sable, le soleil, la mer et la nature ont conduit mon attention cet été sur l’ouvrage Vivre nu publié aux éditions Grasset, écrit par la philosophe Margaux Cassan. L’autrice évoque l’histoire du naturisme, cette pratique collective qui consiste à ne porter que la peau «ce premier vêtement», comme le souligne le dress code d’UBS.

Les raisons de vivre dévêtu sont multiples. Mme Cassan en épingle quelques-unes: retrouver les plaisirs de l’enfance lorsque la pudeur n’a pas encore fait son œuvre (pudeur qui, n’en déplaise aux disciples de Rousseau, n’attend pas l’âge adulte; elle se manifeste dès les premiers signes de la puberté); ressentir la fierté de ne pas se soumettre aux codes sociaux venus de la tradition judéo-chrétienne qui fait de la pudeur la marque (indélébile?) du péché propre à l’être humain (‘péché originel’ disent les théologiens) – les chrétiens pratiquant le naturisme peuvent prétendre que vivre nu, c’est revenir à l’état de l’humanité tel qu’elle était avant le péché. Le naturisme peut également être vécu comme le stimulant d’un libertinage supposé. Ce postulat me semble très douteux. Comme le fait dire un humoriste au maire d’un village reculé, lors du couronnement de la rosière: «Pour être entièrement nue, il eut fallu garder vos bas». Il est vrai que, comme disait également ma grand’mère: «l’érotisme, ce n’est pas le nu, c’est le retroussé». Le naturisme peut aussi être une philosophie de vie, parfois associée à une alimentation végane (comme les bovidés, mais non pas les renards). Bref, au-delà du plaisir, le naturisme est le vecteur d’un style de vie, voire d’un rapport-au-monde, disons d’une spiritualité. Pas toujours, et même de moins en moins, comme le déplore Margaux Cassan qui voit dans le naturisme d’aujourd’hui plutôt une utopie, proche d’une écologie intelligente.

J’ajoute trois sous pour enrichir ce spectacle estival.
Le premier souligne que bien difficile sera la préservation de la voie philosophique du naturisme, tellement est forte la ‘récupération’ par les tendances lourdes de la société occidentale centrée sur le plaisir sensible immédiat. Comme on a pu le constater depuis deux siècles déjà: le ‘système’ récupère tout, y compris ses tendances hostiles, comme il récupère aujourd’hui le mouvement écologique.
Le second rappelle que le naturisme ne fonctionne pas nécessairement comme une thérapeutique psychosociologique. On ne peut pas «en finir avec la sexualité en la dévoilant» selon une vulgate assez simpliste de l’analyse freudienne. Comme si la nudité en public fonctionnait, tel un sacrement, ex opere operato, c’est à dire automatiquement, quasi mécaniquement. Ce fut la naïveté d’un pasteur américain qui, «pour prouver que la nudité n’a rien de honteux» a organisé un striptease collectif dans son temple pour les enfants de l’école du dimanche. Cela ne prouvait malheureusement rien, sinon la bêtise du pasteur.
Troisième remarque: est illusoire l’idée que le naturisme produit un effet de transparence. La transparence est comme l’oignon: on croit toucher la vérité en enlevant la pelure extérieure, on ne fait que se heurter à une autre pelure, celle-ci enlevée, une troisième apparaît, puis une autre, ad nauseum. Si, comme le prétend l’autrice, le naturisme procède d’une recherche d’égalité. Alors c’est encore raté! A fortiori, seul les aveugles peuvent prétendre qu’il est un dépassement du genre binaire mâle/femelle, ou jeune/vieux. La raison en est que, quels que soient son genre, son âge, ses difformités, chacun, habillé ou non, fait de son corps le vecteur de sa vie sociale. Et la nudité exposée n’est jamais qu’une manière de se distinguer.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×