L’enjeu de la subsidiarité en Suisse et en Europe

«L’État de droit», n’est-il qu’un certain «état du droit»? Cette question n’est pas simplement une question théorique relevant de spéculations abstraites d’éthique publique.  Certes, philosophes et théologiens moralistes ont éructé des tonneaux de salive pour en débattre. Aujourd’hui, c’est la question politique fondamentale en Europe. Les anti-européens rejoignent sur ce point la minorité des Suisses qui, en 1973, se sont opposés à la suppression de l’article constitutionnel (depuis 1848) contraire aux Droits humains qui stipulait l’interdiction du travail des jésuites sur le territoire helvétique. Cette discrimination sur une base religieuse est en effet, tout comme les discriminations fondées sur le sexe, le genre ou la race, contraire à l’État de droit. Et l’on comprend les réticences des pays islamiques qui ont cherché à contourner ces principes «gauchis par une idéologie occidentale penchant unilatéralement du côté de l’individualisme».

L’enjeu helvétique de 1973 était celui-là même qui ressort aujourd’hui dans l’Union européenne avec les questions de l’immigration illégale.

L’expulsion des étrangers entrés illégalement en France se heurte parfois à des principes d’État de droit ancrés dans les principes européens.

Pas simplement le Tribunal de l’Europe, mais aussi – déjà en 1973 – la Cour européenne des droits de l’homme. Ceux parmi les Suisses qui, en 1973, ne voulaient pas toucher à la constitution se foutaient pas mal du travail des jésuites sur le territoire helvétique avaient quand-même compris que l’article litigieux était la condition exigée par les instances supranationales pour adhérer au Conseil de l’Europe. Il y avait donc à la clé une perte de souveraineté nationale. C’est la même critique qui se fait jour aujourd’hui en France comme dans d’autres pays de l’Union. Qu’il s’agisse d’immigration, de GPA, d’euthanasie, la Cour européenne malmène la souveraineté des États. Les anti-européens de tous poils montent en épingle les cas les plus flagrants où la France n’a pas pu expulser des criminels notoires entrés illégalement sur son territoire. C’est également un argument semblable que le gouvernement polonais a brandi contre l’exigence de l’Union concernant la séparation institutionnelle entre l’Exécutif polonais et l’instances judiciaire suprême de la Pologne. L’organisation judiciaire fait partie, disent les Polonais, du domaine propre à la souveraineté nationale.

Pour débloquer les fonds européens PNRR destinés à compenser les débours polonais liés à la pandémie du Covid 19, la Commission européenne attendait que soit annulé le système mis en place par le gouvernement polonais (qui, d’après la loi contestée, nommait l’instance de régulation qui encadre la jurisprudence des tribunaux de ce pays). Ce qui est contraire à l’État de droit, socle commun de l’Union. En réponse aux exigences européennes, le tribunal constitutionnel polonais, se fondant sur la littéralité des Traités, dans un arrêté célèbre du jeudi 7 octobre 2021, posait que, en imposant à la Pologne de changer ses institutions judiciaires, «les organes de l’Union européenne fonctionnent en dehors des compétences qui leur sont confiées dans les traités».

Contrairement à la plupart des interprétations juridiques, journalistiques et politiques qui en furent fait, il ne s’agissait pas –comme s’en réjouissaient trop vite les politiciens de tendance nationaliste en France, en Italie, en Suède et ailleurs– de placer les lois nationales polonaises au-dessus des règlements européens. La contestation portait sur une interprétation restrictive du principe de subsidiarité dans l’Union. Problème de répartition de compétence, et non pas remise en cause des pouvoirs de l’Union dans les domaines qui lui sont propres. Ce qui met le doigt sur ce qui fait mal au cœur des anti-européen: l’extension sans limite précise de l’ingérence européenne dans la souveraineté des États-membres.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×