• Samuel Embleton croque le quotidien des écoles de recrues © DDPS

Le Service national universel et la ‘culture profiteuse’

L’on sait que dans les années nonante, sous la présidence de Jacques Chirac, la France a supprimé le service militaire obligatoire. Il est vrai que ce service ne concernait que la moitié d’une cohorte d’âge (les garçons), et permettait plusieurs échappatoires par la ‘coopération militaire’ pour des œuvres d’éducation ou autres dans les pays en voie de développement ou ailleurs, laissant la porte ouverte à ‘l’objection de conscience’ et à quelques formes de services civils dans des associations. Par ailleurs, une sélection laxiste au nom de la santé, du soutien de famille ou d’autres raisons, conduisait à penser que le service militaire était réservé à ceux qui n’avaient pas pu y échapper, et qu’il fallait le ranger parmi les résidus inutiles, dispendieux et finalement ridicules d’une stratégie guerrière largement dépassée.

La raison officielle de la suppression du service militaire obligatoire fut que, compte tenu de la technicité des guerres modernes, il ne contribuait en rien à la défense du territoire national. Cette raison l’avait facilement emporté sur les ‘avantages’ en termes d’esprit collectif –pour ne pas dire de sentiment patriotique–, d’autant plus que la plupart des jeunes gens ‘appelés sous les drapeaux’ comme on disait, en gardaient le souvenir d’un univers tatillon et stupide. Bref une perte de temps.

Face à la culture ‘profiteuse’ qui domine de plus en plus en France, où tout –y compris les services sociaux– est jugé d’un point de vue de l’intérêt individuel, et conscient de la montée du communautarisme dans la jeunesse française qui en est l’un des fruits, les responsables politiques français d’orientation droitière ont fini par regretter l’apport ‘éducatif’ du service militaire obligatoire. Ils souhaitaient favoriser un sentiment de solidarité par le moyen d’une sorte de conscription sur un horizon vaguement patriotique. D’où l’idée mise en œuvre depuis quelques années d’un ‘service civique’ ouvert aux volontaires de tout sexe, et qui n’avait plus une visée strictement militaire. Ce service national facultatif rassemble aujourd’hui bon-an mal-an quelques trente mille volontaires (pour une cohorte d’âge d’environ huit cent mille). Selon une observation reprise par le journal Le Temps, les volontaires sont «principalement constitués d’aspirants gendarmes ou d’enfants de militaires, plutôt de bons élèves, relativement disciplinés».

Si exemplarité il y a, la pratique suisse dans ce domaine sera difficile à imiter. Et je crains fort que l’exemple suisse ne provoque qu’envie et jalousie chez la Secrétaire d’État française. Et cela pour deux raisons qui s’ajoutent aux problème pratiques de logistique pour une France qui ne cesse de perdre de sa substance économique. La première raison est que:

Le sens civique, comme tout ce qui concerne la morale c’est-à-dire le vivre ensemble, ne relève pas de la théorie, mais de l’exemplarité des responsables.

Or, aux vues des grèves corporatistes à répétition et des chamailleries honteuses qui nourrissent les débats parlementaires français, où trouver le sens du bien public qui donnerait un peu de chair à l’enseignement moral et civique, surtout s’il est pratiqué dans le cadre d’une organisation contraignante?

La seconde raison vient d’un fait maintes fois vérifié dans l’histoire récente de divers pays:

L’on ne peut généraliser pour la rendre obligatoire, sans perdre l’essentiel de l’esprit qui lui donne sa cohérence et son efficacité, une expérience sociale qui regroupe des volontaires.

À quoi s’ajoute ce dont témoigne toutes les analyses sociologiques:

Il est vain de vouloir élaborer un esprit de corps avant qu’un ennemi crédible n’apparaisse à l’horizon.

La réaction des Ukrainiens face à l’invasion montre que la Russie a davantage fait en faveur du patriotisme ukrainien que n’aurait pu le faire un enseignement organisé dans le cadre d’une conscription obligatoire.»

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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