L’arme de la religion

Le patriarche Cyrille, chef de l’Église orthodoxe russe, avait déjà défrayé la chronique en bénissant l’invasion de l’Ukraine par les armées du président Poutine. Durant l’été, il récidive. L’occasion lui en est donné par un phénomène manifesté dans un hôpital militaire russe. À partir de Pâques, l’image de la Vierge serait apparue à tous les étages (?) ou simplement sur les portes vitrées (?) de l’unité de soins intensifs du centre chirurgical du village de Novy, dans le district de la ville de Krasnogorsk. Certains parleraient de miracle, d’autres de phénomène psychosomatique ou simplement d’illusion collective. Puisque cette expérience singulière ne me fut pas donnée en partage, je me garderai de la qualifier. Car ces expériences incommunicables où l’imaginaire joue le premier rôle, expériences intimes contraires à toute démarche scientifique, relève de la conscience –ou de l’inconscient– de chacun. Il n’y a de science que du général, disait le médecin Claude Bernard.

Selon les propos du patriarche rapportés par l’agence russe Interfax-religion, le primat de l’Église orthodoxe russe a visité cet hôpital. Il ne s’est pas contenté de «vénérer l’icône de la Mère de Dieu à la myrrhe». (Provenant du village moscovite de Bachurino cette icône est célèbre parce que d’elle coule –depuis une vingtaine d’année aux dires de certains– une sorte de sève à senteur de myrrhe.) Le patriarche a offert à l’hôpital militaire une icône de l’archange Michel. Il a souhaité que «le chef de l’armée céleste» les aide à rester toujours du côté du bien. Je n’ai rien contre cette pieuse intention. Cherchant à motiver les soldats, il explique: «Cela leur assurera non seulement le soutien total du peuple, mais les aidera sans aucun doute à obtenir le soutien divin» (sic).

J’épingle cette parole du patriarche, non pas pour ressasser le constat banal selon lequel, en temps de guerre, même les gouvernements les plus hostiles à la religion ne dédaignent pas faire appel à la superstition populaire. Staline ne s’en est pas privé. A défaut de la religion populaire, n’importe quel idéal mobilisateur peut jouer le même rôle, fut-il insaisissable comme le Grand Soir ou le Paradis de Mahomet. Je souligne simplement que ce genre de posture qui allie le sabre et le goupillon a ceci de tragique (ou de comique, c’est selon) qu’il peut servir indifféremment à tous les protagonistes. Thomas d’Aquin pensait qu’une guerre juste –si tant est qu’il en existe– supposait non seulement une autorité légitime (pas de «guerre privée») et l’espoir raisonnable de vaincre avec le minimum de coût et de coups (ce qu’il appelait des moyens proportionnés), mais également un objectif légitime. Les soldats russes sont engagés dans un combat où ne sont réunies aucune de ces trois conditions. Reste le pieux sentiment attribué à l’icône de la Mère de Dieu à la myrrhe, l’«Adoucissement des cœurs mauvais».

 

Image: Le président russe Vladimir Poutine avec le patriarche Kirill de Moscou après l'avoir décoré de l'Ordre de Saint-André l'Apôtre le Premier. Source: Patriarch Kirill awarded Order of St Andrew the Apostle the First-Called. Auteur: The Presidential Press and Information Office

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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