L’accompagnement spirituel du XXIe siècle

Face au «bore-out», expérience d’une vie sans intérêt incapable de motiver ou d’un épuisement professionnel par l’ennui, la littérature managériale rejoint les accompagnateurs spirituels qui cherchent à «donner du sens» à ceux qui en cherchent.
Les traditions religieuses, tout comme les spiritualités agnostiques ou athées, proposent le plus souvent (mais pas toujours) de trouver dans une force supérieure le sens d’une vie qui en maque. Selon une enquête de l’OFS, moins de 40% des Suisses (en forte diminution) croient en un Dieu unique, 25% (en augmentation constante) en une Puissance supérieure, 1,6% (en légère diminution) en plusieurs Dieux, 18% (en augmentation) sont agnostiques et 15% (en forte augmentation) ne sentent pas le besoin de se référer à une puissance supérieure.

À la jointure de ceux qui croient en un ou plusieurs Dieux et de ceux qui croient en une force supérieure, je pourrais placer les Alcooliques Anonymes (AA) qui, dans la présentation de leur référence, les Douze étapes, invoquent, devant leur «impuissance devant l’alcool», dans la deuxième étape «une puissance supérieure à nous-même», puissance que la troisième, cinquième, sixième et onzième étape, nomme «Dieu tel que nous Le concevions». Les AA, assez naturellement, dans la onzième et douzième étape, évoquent la prière et la méditation comme moyens spirituels pour donner sens et efficacité à cette démarche appuyée sur une puissance supérieure.

Tous ces ingrédients sont présents dans un blog paru sur le site du journal Le Temps le 30 septembre dernier, sous la plume d’une accompagnatrice spirituelle qui aide, en dehors de tout cadre religieux, les accidentés de la vie à retrouver de l’équilibre et du sens (qui se coule, le plus souvent, dans la signification verbale – ce qui n’est pas tout à fait la même chose). Ce blog évoque la peur qu’il convient de surmonter pour vivre une vie qui vaille la peine d’être vécue. C’est d’ailleurs l’argument classique de ceux qui, comme Karl Marx au XIXe siècle, ne voient dans la religion qu’un opium. Les chrétiens peuvent s’appuyer sur certains dogmes, ainsi que sur la prédication «consolatrice» de biens des pasteurs et des prédicateurs (une certaine interprétation du bouddhisme pourrait aussi aller dans ce sens). Cet opium fait oublier la misère vécue et la peur de mourir (mais pas toujours de la mort). Des psychologues contemporains ont d’ailleurs interprété les addictions en tous genres (alcool, pornographie, collectionneurs impulsifs) comme le substitut laïque de cet opium qui permet de surmonter ses peurs.

Je ne suis pas certain que la peur soit vraiment nécessaire pour nourrir une vie spirituelle, ni que l’accompagnement spirituel sans référence à une puissance supérieure –se prétende-t-il agnostique ou athée– soit réellement sans dogme. Car le postulat spirituel suppose au moins le dogme de la liberté individuelle (et non pas celui de la détermination par les conditionnements économiques, politiques et culturels, l’éducation et le milieu ambiant). De plus, pour qu’un progrès soit pensable (la fameuse «perfectibilité» de l’être humain) –ce que propose l’accompagnement spirituel– le dogme d’une relation possible avec une altérité qui ne soit pas qu’une projection sur son partenaire (accompagné ou accompagnateur) des fantasmes que chacun porte en soi.

Cette remarque sur l’altérité permettrait, me semble-t-il, aux chrétiens d’exorciser ce qui est le plus contraire à la foi, la superstition qui imagine pouvoir se soumettre la puissance supérieure par quelques Exercices spirituels. (Pour ne citer que ceux évoqués par Loyola: la prière vocale, l’oraison mentale, la méditation qui rumine les idées, la contemplation qui goûte les images, l’application des cinq sens qui incarne le spirituel dans le corps, la répétition –qui consiste non pas à faire indéfiniment du coupé-collé, mais à revenir, comme lorsque l’on visite un musée, sur les pièces, images, évocations marquantes). En se confrontant à l’altérité nécessaire à toute démarche spirituelle, les chrétiens pourraient ainsi éviter de confondre la peur qui enferme en soi-même en réclamant le secours de la superstition, et la crainte de mal faire (ce que les Anciens nommaient le don spirituel de la «crainte de Dieu») qui ouvre la vie sur une altérité qui ne se paie pas de mots.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×