La stratégie électorale éclairée par les statistiques

Un professeur honoraire de mathématiques du canton de Vaud s’est penché sur les statistiques électorales. Sur la base d’un calcul de probabilités propre à la sociologie électorale, il conclut en vue des élections fédérales: «le PLR n’a pas intérêt à trop s’apparenter avec l’UDC» (Le Temps du 2 octobre 2023). Même si les électeurs devaient lui donner tort, les dirigeants du parti ne peuvent qu’être attentif à ce genre de calcul mathématique.

Au début des années 1980, le politologue Jacques Attali, alors professeur à l’École polytechnique (France), publiait son cours intitulé Analyse économique de la vie politique. Plusieurs chapitres portaient sur les coalitions dans le cadre de la théorie des jeux stratégiques, une théorie qui repose – comme toute sociologie électorale – essentiellement sur les calculs statistiques. Certes, les calculs chiffrés ne disent pas tout. Contrairement à l’adage, les chiffres ne parlent pas par eux-mêmes, il faut les interpréter. De plus, comme chacun sait, l’avenir n’est pas toujours probabilisable, il est souvent incertain. En matière électorale, l’avenir est d’autant moins probabilisable que les électeurs sont versatiles. Le poète Lamartine, qui s’était engagé un temps dans la politique, a fait cette amère expérience, qui se répète constamment.

Ce fait d’évidence ne condamne pas l’exercice statistique portant sur les élections à venir. À condition d’abord de savoir manier l’outil mathématique. Il faut également connaître le terrain pour ajuster l’outil aux informations que l’on veut faire émerger. À défaut de quoi, on se laisse entraîner par des biais inconscients, inhérents à l’idéologie personnelle du statisticien. De même nature que le jugement porté par les électeurs sur les candidats, la décision judiciaire est passible d’une même dérive. Le pire qui puisse arriver est une décision fondée sur le seul calcul des probabilités. C’est ainsi qu’en 2003, une infirmière belge, Lucia de Beck (vilipendée par les médias sous le sobriquet Ange de la mort) fut condamnée à la prison à vie, non pas qu’on l’ait prise en flagrant délit d’empoisonner des bébés, mais sur la base de la probabilité du décès d’un nourrisson lorsqu’elle était de service. Elle fut reconnue innocente quelques années plus tard, une analyse plus fine ayant montré les biais cachés dans le calcul. En matière électorale, ce biais est fréquent, car le grand nombre entraîne inconsciemment l’adhésion.

En fait, un jugement porté sur la seule base statistique ne devrait pas pouvoir être reconnu ni par les instances judiciaires, ni par les instances politiques (notamment par les responsables de partis). Car les événements sociaux sont tous singuliers, ils sont fonction des itinéraires et de l’idiosyncrasie de chacun; ils échappent donc à la loi des grands nombres. Ce qui n’empêche pas certains tribunaux français de condamner plus sévèrement certains prévenus qui vivent dans un quartier, ou sont rangé dans une classe sociale, où le taux de récidives est plus élevé qu’ailleurs. C’est une honte. C’est également ce que chacun fait en jugeant les gens non selon leurs qualités propres, mais selon leur lieu d’habitation.

J’emprunte la morale de cette histoire à Winston Churchill qui disait sans aucun humour: «je ne crois qu’aux statistiques que j’ai moi-même manipulées.» Avec un présupposé de bienveillance, j’interprète la formule non pas comme la volonté de faire dire aux chiffres ce qui plait au statisticien, mais comme le souci de soumettre rigoureusement l’outil statistique aux objectifs visés compte tenu du contexte particulier. Pour l’éclairage des électeurs et des responsables du PLR, je souhaite que le professeur vaudois ait manifesté les mêmes préoccupations pour son étude des futures élections fédérales.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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