La scène est touchante. Le vieillard Syméon, cet homme pieux dont la vie a été formatée par la méditation des Écritures et l’attention à l’Esprit n’est pas un rêveur. Il incarne l’attente d’une humanité qui aspire à un avenir meilleur, au salut. S’il comprend que les promesses divines sont concentrées dans l’enfant qu’il porte dans ses bras, il pressent aussi qu’elles exigent la mort de ce qui est caduque. Dans le destin de ce petit se profile déjà l’homme des douleurs.
La Sainte Famille est l’écrin dans lequel l’enfant va grandir. La piété populaire y voit le modèle idéal de la réussite familiale, et les images d’Épinal ne manquent pas de décourager les parents les mieux intentionnés. Tableaux idylliques exclus par les Évangiles.
La vie de couple de Marie et Joseph a débuté par une crise qui a bien failli tout compromettre. La grossesse inexplicable de Marie, son mutisme, la déception de Joseph ont conduit le couple au bord de la rupture. Un déplacement imposé par l’administration au cours duquel la jeune-femme accouche dans un refuge pour SDF. La vie du nouveau-né menacée, le couple a dû fuir, requérant d’asile dans un pays inamical. Au terme des années d’exil, à l’heure du retour au pays, la situation politique de la région leur interdit de réintégrer leur village d’origine. La fugue de l’adolescent, à douze ans, ses explications incompréhensibles font comprendre aux parents que leur fils leur échappe. Plus tard, Jésus quittera sa mère pour une nouvelle famille, celle de ses disciples. Finalement, le retournement de l’opinion publique, l’arrestation du fils, le procès public, la torture, la condamnation à mort et l’exécution d’un criminel, mettent le comble aux épreuves de la « famille exemplaire ». Le vieillard Syméon ne s’était pas trompé en pronostiquant que cet enfant serait un poids pour ses parents, une épée dans le cœur de sa mère.
La famille réussie et sans histoires n’existe pas. À Bethléem, Nazareth ou Jérusalem les tensions, les épreuves à répétition n’ont pas conduit à la rupture ou à des solutions de facilité. Les parents ont compris qu’ils étaient dépositaires d’un destin qui les dépassait. Ce qui se trame au plus secret des consciences échappe à l’entourage, même dans les familles les plus unies. Pour éviter le naufrage, il ne reste qu’à faire confiance, à espérer, à patienter, à prier si on est croyant, pour que chacun grandisse dans sa propre vocation, et prenne son envol pour faire de sa vie quelque chose d’utile.
«La famille modèle sans histoires n’existe pas» (Lc 2,22-40) – méditation à partir de l’Évangile par Pierre Emonet sj pour le dernier jour et dernier dimanche de l’an 2023