Matthieu a sans doute rédigé son Évangile à la fin du 1er siècle, vers les années 80-90 après la mort du Christ. En paraphrasant le chant de la vigne du prophète Isaïe (1ère lecture), l’évangéliste multiplie les allusions à l’histoire d’Israël au point de transformer la parabole en une allégorie de la relation entre Dieu et le peuple croyant.
Le propriétaire du domaine ne travaille pas sa vigne lui-même; il l’a confiée à des vignerons. Il leur revient de la cultiver et de la faire rapporter. À l’époque de la récolte, le propriétaire a beau réclamer le produit de sa vigne, les vignerons refusent et s’emparent non seulement de la récolte mais également de la propriété. Les tentatives successives du propriétaire pour récupérer son bien et rappeler aux vignerons leur statut sont vouées à l’échec. Violence, crimes, tout justifie l’élimination des envoyés du maître, jusqu’à l’ultime recours, l’envoi du fils expulsé de la vigne et assassiné dans l’espoir de mettre la main sur l’héritage. La rupture est définitive. Face à une telle obstination le propriétaire confie sa vigne à d’autres personnes.
Si toute cette histoire fait clairement allusion à l’histoire d’Israël, elle ne devrait pas servir d’alibi pour oublier que la vie spirituelle et la pratique religieuse adressent un défi à chaque croyant. Le don de la foi, la connaissance du Christ, les Évangiles, les sacrements, l’expérience mystique, tout l’héritage religieux et chrétien est confié au croyant pour qu’il le cultive et lui fasse porter des fruits. Il en est le gérant mais certainement pas le propriétaire. Prétendre se les approprier et en faire une affaire strictement personnelle en les engrangeant pour soi constitue un détournement du don de Dieu. Aussi personnelle et intimes que sont la foi, l’espérance, l’amour et les valeurs évangéliques, ce capital est confié par le Seigneur pour le faire fructifier. Au soir de la vie il en réclamera les fruits. Le séquestrer pour sa propre gourmandise spirituelle sans le mettre au service des autres, c’est faire acte de propriétaire, une trahison à l’instar des vignerons corrompus. D’autres prendront le relais.
«Gérants, mais pas propriétaires» (Mt 21,33-43) - méditation à partir de l’Évangile par Pierre Emonet sj pour le dimanche 8 octobre 2023