La victoire du Christ sur les mauvais esprits et autres malheurs qui accablent l’humanité ne se limite pas à un périmètre religieux. En quittant la synagogue de Capharnaüm, Jésus se rend dans une maison privée. Une fois encore, il guérit une malade. Son action libératrice s’élargit même aux dimensions de la ville: malades, possédés, tout ce que la société comporte de souffrances et d’épreuves se presse aux portes de la maison de Pierre. Quatre fois dans ces quelques versets il est fait mention de la déroute des démons, les auteurs présumés de tout ce qui met à terre une personne. Là où Jésus se trouve les frontières du mal reculent, l’homme est libéré sans conditions.
La guérison de la belle-mère de Pierre n’est pas un simple fait divers, elle est hautement symbolique. En saisissant la malade par la main Jésus la fait « se lever ». Plus tard, le texte grec de l’Évangile reprendra le même verbe « se lever » pour dire la résurrection du Christ. Cette femme échappe à l’emprise du mal comme le Christ échappera à la mort. Chaque remise debout, chaque libération, a un lien avec la résurrection. Une homélie du Vème siècle imagine avec audace le Ressuscité tirant Adam par la main pour l’arracher aux enfers : « Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui a été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en moi, et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible ».
Aux démons qui l’ont reconnu, Jésus interdit de dévoiler son identité. L’Évangile de Marc revient plusieurs fois sur cette exigence de discrétion. Jésus veut éviter d’être récupéré par les mouvements qui attendaient un Messie nationaliste et triomphaliste. Lui reste fidèle à sa mission qui est celle du serviteur souffrant.
Pour échapper à un triomphe facile, Jésus fuit la foule, se retire à l’écart, et se recentre dans la prière. À ceux qui le pressent de retourner vers le succès, il rappelle que la réussite de sa mission ne s’évalue pas à l’applaudimètre. Il ne se reconnaît pas d’autre mission que celle de proclamer l’Évangile et de lutter contre tout ce qui fait souffrir les hommes. Aujourd’hui, cette double fidélité rendrait mieux compte de la vitalité des Églises que les statistiques recensant le nombre de leurs pratiquants.
«Faire reculer les frontières du mal» (Mc 1,29-39) - Méditation à partir de l’Évangile de Pierre Emonet sj pour le dimanche 4 février 2024