Samuel Asal estime que la Constitution devrait refléter l'ensemble de la population © DR

«Enlever Dieu» de la Constitution fédérale de la Confédération suisse

J’épingle aujourd'hui une information parue sur le site de l’agence catholique suisse cath.ch vendredi 21 octobre dernier: «Samuel Asal, 24 ans, est engagé chez les jeunes Verts du canton de Lucerne. Il approuve la demande de son parti de supprimer la mention de Dieu dans la Constitution cantonale, bien qu’il soit catholique, et le fils de Renata Asal Steger, présidente de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ).»

Le scoop journalistique –si scoop il y a– est ici le rapprochement entre d’une part la proposition des jeunes Verts du canton de Lucerne «supprimer la mention de Dieu dans la Constitution cantonale» et d’autre part le militant qui dit appartenir à la religion catholique romaine, dans un cadre familial de même obédience. Comme si être catholique impliquait suivre la position de ses parents et être sourd aux évolutions de la civilisation occidentale et aux susceptibilités des athées, agnostiques ou incroyants (qui représentent désormais la majorité de la population en Suisse). Je ne m’intéresse pas ici aux convictions religieuses personnelles de ce jeune Vert, ni à la manière dont il pratique –ou non– sa religion, en harmonie ou en désaccord avec ses parents, mais au contexte historico-politique de la question qu’il pose avec juste raison.

La position de Samuel Asal est très classique, et se comprend d’autant mieux aujourd’hui que nous ne sommes plus en «régime de chrétienté» où la religion s’identifiait au lien social, régime qui a succédé à celui où ce lien se fondait sur des empereurs-romains plus ou moins divinisés. Même la plupart des chrétiens convaincus ne confondent plus leur foi personnelle avec leur appartenance à un territoire ni à une religion civile.

Reste alors à faire société lorsque la mention publique d’une croyance (souverain divinisé ou autre culte) ne fédère plus les volontés.  Il y faut des mots et des valeurs, plus laïques de consonnance, moins connotés historiquement, mais qui demeurent nécessairement le reflet d’une transcendance, que les esprits chagrins pourront toujours discuter: République –transcendance de l’intérêt général qui ne supprime pas les intérêts particuliers; liberté –transcendance de la volonté individuelle qui a fait le lit d’un capitalisme honni; volonté générale –transcendance du collectif sur les préférences individuelles; égalité –transcendance de la démocratie vécue sur les inégalités de santé, de compétence et de statut. Et je ne parle pas de ces idéaux riches de sens, ouverts à des interprétations contradictoires: bien commun, qui est le bien de chacun par le moyen de la solidarité de tous; fraternité, mot trop connoté aux yeux des théoriciens du genre et dont on ne voit plus à quelle paternité il se réfère ; nation, patrie, … autant de mots, contestables aux yeux de certains, mais qui surplombent notre vie politique. Comme disait Léon Blum:

«Ce que Spinoza appelle l’idée de Dieu, nous pouvons l’appeler l’idée de l’humain, l’idée de l’universel, et la formule tient encore.»

Le mot Dieu peut disparaître, demeure le problème qu’il était censé résoudre dans les temps anciens. Dans les temps actuels, la posture politique des jeunes Verts lucernois dont témoigne Samuel Asal tient compte, à juste titre, de l’évolution des mentalités, des institutions et des faits sociaux. Ce qu’il propose procède d’une attention aux susceptibilités de tous, et en particulier de ceux à qui le mot Dieu donne des boutons. C’est la raison pour laquelle j'approuve la proposition des verts lucernois.

Ici, je suis certain de passer pour un naïf aux yeux de mes contradicteurs, naïf qui n’a pas compris ce qu’il y a d’anti-religieux chez les jeunes Verts dont la proposition fait le lit des extrémistes musulmans prompts à voir dans ce genre de caviardage un mépris pour les croyants. Cette proposition, disent mes contradicteurs, est d’ailleurs assez méprisante pour les non-croyants, comme si agnostiques ou athées étaient incapables de respecter un mot dont il ne comprenne pas la signification, mais qui fait sens aux yeux de certains de leurs concitoyens (à la manière du ‘Dieu tel que nous le comprenons’ des Alcooliques Anonyme, ou du ‘Grand Architecte de l’Univers’ des Francs-Maçons dits ‘réguliers’). En fait, en bon chrétien, je ne vois dans la position du jeune Asal que la mise en œuvre du principe de l’apôtre Paul: «Soyez libres, mais ne scandalisez pas».

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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