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Émotions et spiritualité

Dans le cadre d’un cycle de conférences tout public, destinée en particulier aux personnes qui font de l’accompagnement, le Père Etienne Perrot sj détaillera les «Émotions et motions spirituelles chez Loyola». Une conférence à suivre le 14 mai de 14h30 à 16h en présentiel, au centre de l’Innovation des Hôpitaux universitaires de Genève, ou en visioconférences.

À l’image de l’esprit de famille ou de l’esprit d’équipe, la spiritualité rassemble en un tout ce qui est divers. L’altérité –c’est à dire les différences– y est centrale, tout autant que ce qui est commun. On parle aussi de l’esprit d’un texte: les mots, les paragraphes, les chapitres sont différents, mais il y a un ‘je ne sais quoi’ qui les réunit. Or, très souvent, à la suite des amoureux qui voient dans leur harmonie mutuelle une sorte de don venant de ‘je ne sais d’où’ (du ciel, peut-être), la spiritualité est confondue avec les émotions irrépressibles dans la fusion amoureuse. Or il faut absolument distinguer les deux. C’est l’enjeu de cette conférence dans l’esprit de Loyola.

Pour le fondateur des jésuites,

la distinction entre les brèves émotions ressenties après la lecture d’un roman de chevalerie et celles –durables– ressenties après la lecture d’une vie de Jésus (et de quelque ‘vie’ plus ou moins légendaire des saints), lui fait deviner que la ‘voie de Dieu’ est du côté de ces dernières.

Mais tout le travail de discernement consistera pour lui à accepter que la voie de Dieu ne campe pas dans la ‘consolation’ proche du paradis perdu de fusion avec une nature idyllique (ou de l’expérience intra-utérine ou celle du bébé, diraient les psychanalystes). Étant donné que l’altérité constitutive de la spiritualité est toujours vécue comme un horizon d’attente, une absence à combler, un moteur, un sens à faire, les ‘désolations’ tout autant que les consolations y jouent leur rôle.

Tous ceux qui font l’expérience de semblables consolations ne les mettent pas sur le compte de la divinité. Ainsi Romain Rolland soumet au Dr Sigmund Freud une expérience qu’il a faite, et que le littérateur français nomme ‘conscience océanique’, une sorte de communion avec le cosmos. Une expérience du même type est présentée par le philosophe André Comte-Sponville dans son livre L’esprit de l’athéisme, pour une spiritualité sans Dieu. Ce qui n’exclut pas l’expérience de l’altérité au sein même de cette communion émotionnelle. Mais, là encore, il faut discerner. De même lorsque cette communion émotionnelle se joue avec un partenaire et non plus avec l’environnement. L’empathie, qui laisse ici résonner en soi les émotions d’autrui, ne rencontre pas nécessairement autrui dans son altérité radicale – gage d’une relation possible. Dans cette situation, je ne rencontre le plus souvent que certaines prédispositions psychosomatiques communes, voire seulement les idées que je projette sur l’autre.

Ignace de Loyola développe le discernement entre d’une part les ‘bonnes’ émotions, celles qui expérimentent l’altérité, permettent la relation avec autrui –ou avec Dieu– et s’ouvre sur un avenir non maîtrisé, et d’autre part les ‘mauvaises’ émotions, celle qui enferment sur soi dans une immédiateté, et interdisent toute relation. L’arrière-fond spirituel de Loyola est la Devotio Moderna. Dieu sensible au cœur, et non à la pointe de la spéculation intellectuelle, ni au bout du devoir cultuelle ou charitable.  Né au XIVe siècle, ce courant spirituel toucha aussi la tradition franciscaine et un peu Luther.

En témoigne déjà sa manière de prier, où il commence par demander à Dieu… de ressentir des émotions: regret de ses fautes, empathie avec Jésus nourrissant les foules ou guérissant les malades, compassion avec Jésus mourant le la croix, joie avec les témoins de la résurrection. La dynamique de ses Exercices spirituels en est la contrepartie, mettant l’accent sur l’horizon d’attente, le sens de la vie, bref l’ouverture sur l’altérité.

Finalement, le rapport entre émotion et spiritualité se joue chez Loyola dans une certaine qualité d’attention, attention où l’on reconnaît à la fois la distance et la proximité, l’altérité et le commun. L’attention refuse de juger autrui, tout en mobilisant l’intuition. Dans cette intuition peut s’inscrire, selon les personnes et les circonstances, soit l’expérience esthétique (Romain Rolland) soit l’expérience éthique (Levinas), soit l’expérience religieuse (Loyola).

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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