Dites «énergie sale» plutôt que «énergie fossile»

Dans le courrier des lecteurs de la revue mensuelle Scientific-American de juillet dernier, un écologiste proteste contre l’usage habituel de l’expression ‘énergie fossile’. Il propose de la remplacer par l’expression ‘énergie sale’. La raison de ce changement, dit-il, en est que ‘énergie fossile’ ne dit rien de l’effet désastreux de son usage sur le climat de notre planète; cette expression, argumente-t-il, présente d’une façon moralement et politiquement trop neutre une énergie qui sape l’avenir de l’humanité terrestre. À ses yeux, l’expression ‘énergie sale’ aurait un impact moral et politique autrement plus efficace.

Je comprends à la fois l’agacement et la logique du changement de ce lecteur de Scientific-American. Délaissant le terrain du pur constat de fait géologique pour investir le champ de la bataille politique,

il a compris que l’information ne suffit pas pour motiver les volontés.

L’engagement dans l’action suppose la mobilisation de l’imaginaire, des sentiments et des valeurs. C’est la raison pour laquelle l’Exhortation apostolique du pape François Laudete Deum (4 octobre 2023), faisant suite à Laudato Si’ (2015) sur l’écologie intégrale, porte sur la responsabilité de chacun, responsabilité appuyée sur un substrat spirituel et religieux.

Tout en comprenant la motivation du lecteur de Scientific-American, je ne peux me garder d’une appréhension. Autant je suis d’accord pour admettre que l’engagement dans l’action naît sur le terrain des valeurs, des sentiments et de l’imaginaire (Blaise Pascal n’écrivait-il pas au duc de Rouannez: «Les raisons me viennent après»), autant je pense dangereux de déconnecter l’engagement de l’analyse la plus rigoureuse et la plus scientifique possible. Ce fut d’ailleurs dans cette liaison entre analyse et engagement que se manifesta la force de Laudato Si’.

Car les jugements de valeur ne sont convaincants que pour ceux et celles qui sont déjà convaincu(e)s.

Les marxistes lucides (il en existe) ont pour leur part reconnu l’erreur de la onzième thèse de Karl Marx contre Ludwig Feuerbach, thèse qui, en 1845, proclamait: «Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de la transformer.» Comme si la science de l’interprétation était inutile. Il convient d’inverser la formule: la transformation passionnée du monde ayant montré ses dangers, il s’agit –tout autant et dans le même mouvement– de le comprendre.

Comme disait Francis Bacon, on ne maîtrise la nature qu’en se soumettant à ses lois.

Les militants qui, pour agir plus efficacement, perdent de vue cette exigence morale première, qu’il faut connaître –non seulement les lois de la nature, mais également les contradictions de la société humaine–, et qui ont cru que l’indignation et la bonne volonté sont suffisantes, ont provoqué trop de dégâts pour leur laisser les mains libres.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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