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Chat-GPT ou le conformisme électronique

Chat-GPT et autres logiciels interactifs capables de converser avec vous en fournissant des réponses bien rédigées aux questions que vous lui posez en langage courant, n’inquiètent pas simplement les professeurs, les avocats, les journalistes et les éditeurs. Récemment encore, une autrice, recevant un prix littéraire, a reconnu que certains morceaux de son livre avaient été écrits par un logiciel. Voici deux ou trois ans, un tableau de peinture produit d’une manière semblable a obtenu un premier prix, au grand scandale des artistes de métier.

Nous connaissons tous ce qui distingue la créativité humaine du produit de la machine, c’est la singularité. Ce qui est singulier, c’est-à-dire unique dans son originalité, échappe nécessairement aux logiciels conversationnels qui, par construction, malaxent et traitent statistiquement les données glanées sur Internet selon des critères choisis par le chercheur. D’où l’idée de tester l’efficacité de ces machines électronique en leur posant des questions très ciblées.

Un journal du matin a testé la question: comment s’habiller pour un rendez-vous amoureux? J’aurais pu donner la réponse fournie par la machine en renvoyant sur les marques de luxe les plus courantes: Prada (puisque ‘le diable s’habille en Prada’), Dior (puisque ‘j’adore’), Louis Vuitton (puisque ses initiales sont les deux premières lettres de la plus grosse capitalisation du secteur du luxe).

Tout cela est assez banal. C’est pourquoi, pour ne pas radoter dans ce marigot, j’épingle une expérience tentée par une équipe liturgique. En vue de préparer la prédication du dimanche suivant, la question fut posée: commenter le passage de l’évangile selon Luc au chapitre 10, versets 1 à 9. Il s’agit de l’envoi de septante-deux disciples en mission, passage que seul rapporte l’évangéliste Luc. Au bout de quelques minutes, le texte de la prédication s’inscrit sur l’écran d’ordinateur. Une fois lue à haute voix, selon l’opinion générale, pour ne pas dire quasi unanime, cette prédication semble meilleure que la plupart de celle que l’on entend généralement.

Les pasteurs et les prêtres vont-ils donc rejoindre les avocats, les journalistes et les professeurs dans la cohorte des métiers menacés par l’électronique? Ce n’est pas certain. Car je soupçonne ce jugement favorable porté sur la susdite prédication d’être simplement le fruit du consensus (les sociologues diraient d’un habitus qui est une ‘matrice de perception, d’évaluation et d’action’) consensus qui domine dans le milieu clérical, mais qui ne répond plus aux exigences de la culture contemporaine. Le logiciel n’a fait que ramasser sur Internet et mis en forme des bouts de prédication touchant l’envoi en mission. Le jugement eût été différent si l’équipe liturgique avait été davantage sensible aux manières de sentir des gens qui ne fréquentent pas leur lieu de culte.

La morale de cette histoire se résume dans l’aphorisme bien connu: pour enseigner l’anglais à John, il faut connaître l’anglais, mais il faut aussi connaître John, dans sa singularité propre.

A visionner également, l’interview de Raphaël Enthoven diffusée dans le téléjournal de la RTS du dimanche 10 mars 2024 :  https://bit.ly/438Vgxf

 

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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