AVS, isolement et précarité

Dimanche prochain, 3 mars 2024, verra l’issue de la votation suisse sur la treizième rente AVS. L’enjeu financier est obvie. Mais plus encore. Alertés par les Services sociaux ou des organisations caritatives, quelques médias helvétiques ont relevé combien les soucis financiers et la précarité qui les accompagne renforcent un isolement que la complexité administrative a beaucoup de mal à neutraliser.

Précarité et isolement ont en effet parties-liées. La pauvreté renforce la honte et le repli sur soi. On ose se montrer, on n’ose pas demander, même ce à quoi on a droit. À cela s’ajoute la complexité administrative qui décourage bien des démarches et tuent dans l’œuf beaucoup de tentatives. Et je ne parle pas des démarches qu’il faut faire par Internet. Les personnes âgées y sont malhabiles. Les mains tremblantes occasionnent des erreurs et provoquent des refus, administrativement justifiés, nonobstant le droit des assujettis. Seuls échappent à ce syndrome de la précarité ceux qui font partie d’un réseau familial ou social où ils peuvent trouver entraide, encouragements et conseils judicieux pour ajuster leur demande à leur situation.

Les efforts de simplification administratives, quant à eux, se heurtent au problème redoutable – et jamais parfaitement résolu – des catégories. Certaines situations ne relèvent d’aucune catégorie administrative, ou parfois erre dans une sorte de no man's land incertain qui ressemble à la frontière entre les deux Corées. Or – ce n’est pas une tare mais une nécessité – la bureaucratie ne peut fonctionner que par catégories. L’agent administratif n’est pas un juge qui peut trancher lorsque les frontières sont floues. Le fonctionnaire est tenu d’appliquer strictement la règle de droit sans avoir à l’interpréter selon les situations de l’assujetti subjectivement ressenties. Ce qui avait conduit la constitution française de l’an VIII (1800) à formuler dans son article septante-cinq le paradoxe suivant touchant la responsabilité des fonctionnaires:

«Nul fonctionnaire ne peut être tenu pour responsable de ses actes.»

Car il est réputé n’être que le fidèle exécutant de la loi, des décrets, normes, protocoles procédures et rubriques.

Les ressources monétaires, aussi nécessaires soient-elles, ne peuvent pas à elles seules résoudre les problèmes d’isolement (n’en déplaise à une lecture trop littérale de la parabole évangélique dite de l’intendant infidèle qui croit se faire des amis avec de l’argent volé à son employeur). Pour rompre l’isolement des personnes âgées, les réseaux d’appartenance (familiaux et sociaux) se sont effilochés comme des filets de pêches qui ont trop longtemps raclés le fond de la mer. Ce qui appelle une culture partagée, où l’empathie, la parenté et le voisinage, autant que les relations administratives et les ressources monétaires, jouent un rôle indispensable.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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