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«Aimer, un verbe ambigu»

Jésus exige de ses disciples qu’en cas de conflit ils soient prêts à lui sacrifier les liens les plus légitimes, leurs propres racines jusqu’à l’amour de la famille, qui est tout de même un commandement de Dieu. À part les cas de brouilles familiales, l’exigence semble à la limite du tolérable, même pour celui qui, en suivant le Christ, accepte d’entrer dans le monde du divin où tout est excessif et disproportionné pour l’humaine fragilité.

Le discours de Jésus est plus nuancé qu’il n’y paraît à première vue. La difficulté vient de l’ambiguïté du mot aimer. Plus précis que la traduction française de nos bibles, le texte original de l’Évangile met dans la bouche de Jésus un terme qui exprime un amour qui n’est que la recherche de son propre intérêt. En d’autres mots, un amour narcissique, comme qui dirait j’aime mes proches pour l’avantage que j’en retire. En revanche, lorsque les Évangiles parlent de l’amour de Dieu ou du Christ ils utilisent un autre verbe qui suppose un mouvement oblatif, une sortie de soi et de son ego pour rejoindre l’autre sur son propre terrain.  

Jésus oppose deux amours, l’amour de soi et l’amour de l’autre. Il dénonce l’attachement à la famille dans le but d’éviter les inconvénients de l’appartenance au Christ. Si le dilemme était fréquent à l’époque des persécutions, il reste d’actualité lorsque l’option pour les valeurs de l’Évangile risquent de compromettre une carrière professionnelle ou politique, ou menace de juteuses affaires. Le Christ met ses disciples en demeure de choisir: qu’ils fassent preuve d’indépendance et de liberté, qu’ils soient prêts à rompre avec tout ce qui les détourne de lui. La suite de son discours laisse bien entendre que sur toute décision plane l’ombre de la croix, le symbole du plus grand amour, de la vie donnée. Qu’il s’agisse d’une réalité aussi fondamentale que l’enracinement familial ou des petits gestes quotidiens de respect et de partage comme l’hospitalité ou un verre d’eau offert, le défi est le même.

«Aimer, un verbe ambigu» (Mt 10,37-42) - Méditation à partir de l'Évangile de Pierre Emonet sj pour le dimanche 2  juillet juin 2023.

Auteur:

Pierre Emonet SJ

Né en 1936, entré chez les jésuites en 1976, il se consacre à l'écriture et aux ministères ordinaires de la Compagnie: exercices spirituels dans la vie ou en retraites, accompagnement spirituel, prédication et aide dans le ministère paroissial. Il a également été le dernier directeur de la revue choisir qui a cessé de paraître fin 2022. Il a publié plusieurs livres, et notamment trois biographies de jésuites aux éditions Lessius : Ignace de Loyola - Légende et réalitéPierre Favre (1506-1546) - Né pour ne jamais s'arrêter, et récemment Pierre Canisius - L’infatigable réformateur de l’Église d’Allemagne (1521-1597). Il a également publié eb 2023, la première biographie en français de Pedro Arrupe sj: «Pedro Arrupe, un réformateur dans la tourmente». Un livre qui lui tenait à cœur –«mon dernier» précise-t-il– tant le Supérieur général de la Compagnie de Jésus du milieu du siècle dernier est pour lui «un modèle de jésuite».

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