À ne considérer que ses propres mérites on finit par se trouver en compétition avec les autres, et la comparaison engendre la jalousie. Chacun évalue le barème des salaires en fonction de ses prestations personnelles. Le travail abattu, la fidélité aux horaires, le nombre d’heures accomplies, la fatigue, sont l’aune à laquelle on se mesure par rapport aux autres. Question de justice ! Et le syndicaliste de monter aux barricades : l’ouvrier de la dernière heure ne peut tout de même pas prétendre au même salaire que celui qui a trimé toute la journée.
Dans son exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel (Gaudete et Exsultate, nn. 57-59), le Pape François ne manque pas d’épingler l’erreur de ces chrétiens tout occupés à suivre le chemin du ciel au prix de leurs propres efforts. Il y voit une résurgence de l’ancienne hérésie pélagienne qui évacue l’amour au profit d’une autosatisfaction égocentrique et élitiste. La fascination pour le pouvoir, la rigueur de la doctrine, la rigidité des normes, la recherche du prestige personnel et de celui de l’Église deviennent alors les signes de la fidélité au Christ. La priorité accordée à l’effort personnel évacue la confiance et l’humble acceptation de la bonté divine : je suis l’artisan de mon salut.
Les ouvriers de la première heure voulaient être payés en fonction du travail abattu. En refusant d’entrer dans leur jeu, le Maître de la vigne dénonce une morale d’esclaves. Le salut du chrétien ne dépend pas de son endurance sous le joug des normes et des structures ecclésiales, mais de la miséricorde et de la gratuité divine. La bonté du Maître est plus décisive que les mérites de l’ouvrier. Contrat conclu et tenu. Personne n’a la stature qu’il prétend se donner. Pour Dieu, tous ceux qui triment dans sa vigne sont égaux. « Ton regard est-il mauvais parce que moi je suis bon ? »
«À quel prix, le salut?» (Mt 20,1-16) - méditation à partir de l’Évangile par Pierre Emonet sj pour le dimanche 24 septembre 2023