Une chaise vide vous écoute

On raconte une anecdote qui s’est passée aux USA au début des années dix-neuf cent huitante. Un anonyme fit paraître dans le New-York Times la petite annonce suivante: «Versez un dollar sur ce compte.» Un numéro de compte bancaire accompagnait l’annonce. Aucune contrepartie n’était promise, pas même l’inscription sur une liste, ce qui aurait pu susciter un sentiment gratifiant dans le cœur des donateurs – un peu à la manière du Père André Gouze op qui, pour trouver un complément de financement pour les orgues de l’abbaye de Sylvanes, proposait de graver sur un tuyau le nom du contributeur. (Le contributeur, qui n’avait même pas la satisfaction de voir son nom affiché à la vue de tous, choisissait son tuyau d’orgue –plus ou moins gros– selon l’importance de son don).

Un canular –mais est-ce vraiment un canular? – d’un genre semblable s’est déroulé à Zurich: «Cent francs pour se confier à une chaise vide. Et si ça marchait?» selon une info de SonntagsBlick. Eh bien oui! ça peut marcher. Mais à une condition: que le patient en mal de thérapie psychologisante ait l’intuition que l’écoute quelque chose ou quelqu’un d’au moins aussi grand que lui. S’il est persuadé que la chaise vide n’est qu’une chaise vide, rien de ne passera. En revanche, s’il fait le pari qu’un être (aussi fantomatique soit-il) est présent; alors tout change. C’est un pari, semblable à celui qu’ont fait ceux qui ont versé un dollar: pour voir si par hasard une réponse ne serait pas donnée.

C’est ce qui se passe dans une église vide. L’observateur cherche à qui peut bien s’adresser l’homme en prière; il ne trouve personne. L’observateur en conclut que le fidèle s’adresse à un meuble de bois, ou à une statue en pierre. «Le fidèle est seul avec son âme», pense-t-il. Dans le meilleur des cas, il juge que le soliloque du croyant peut avoir des vertus de défoulement, à la manière d’un cri de colère. C’est aussi ce qui se pense l’ignorant qui assiste par la pensée à une séance de psychanalyse. Il voit le patient allongé sur le sofa, le psy assis légèrement en retrait, ne manifestant sa présence que très rarement, parfois gardant le silence pendant une longue durée. L’ignorant trouve la situation incongrue jusqu’au moment où il comprend que, quelle que soit la qualité du thérapeute, l’efficacité de la cure se nourrit essentiellement de ce qui se passe chez le patient.

C’est pourquoi la thérapie de la chaise vide peut marcher. Parce que tout se passe dans la tête du curieux qui veut tester la chose: peut-être se passera-t-il quelque chose! Après avoir payé de son argent, il paie de sa personne. Et il ne reçoit que dans la mesure où il attendait quelque chose de la chaise vide, c’est à dire d’un autre que soi-même.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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