Un décision «surprenante»: Étienne Perrot s'explique

Ma dernière chronique a suscité une franche hostilité. Elle portait sur la «décision surprenante» (aux dires d’un journaliste) prise le 6 mai 2021 par le Conseil fédéral de rompre les négociations portant sur l’«accord-cadre» Suisse-Union européenne (UE).

Les uns me reprochent de n’avoir pas souligné la nécessité pour la Suisse d’un partenariat économique avec l’UE. La géographie, autant que l’état actuel des relations économiques avec nos voisins, l’imposent. L’Europe est notre principal débouché. De plus -les négociations avec la Grande Bretagne l’on bien montré- quoique cahotante, évidente est la marche de l’Union vers une plus grande cohésion et une plus grande cohérence dans ses réactions aux pressions extérieures. Actuellement l’accès aux marchés européens représentent un gain de 20 à 30 milliards de francs par an, qu’il ne sera pas facile de compenser par le développement des relations économiques hors UE.

Les autres me reprochent de ne pas avoir souligné le courage du Conseil fédéral qui a su rompre des négociations qui traînaient sans succès depuis 2014 avec un partenaire buté, campé sur ses positions, inaccessible aux situations particulières des pays qui traitent avec lui, y compris lorsque ces pays appartiennent à l’UE -on l’a bien vue avec la politique européenne face aux migrants. L’Europe semble incapable de mettre en œuvre les valeurs de respect des droits humains et de démocratie avec lesquelles il se gargarise, dilapidant en outre son potentiel technico économique et militaire, dans une soumission lamentable aux diktats américains.

Ce reproche pointe sur la souveraineté suisse, oubliée par ma dernière chronique. Il est vrai que l’UE fondait la négociation de l’accord-cadre sur le principe de la soumission de la Suisse aux règlementations européennes, tant dans le domaine des normes techniques et sanitaires que dans le domaine social ou celui de l’arbitrage des différends. La souveraineté de la Suisse en eu été sérieusement écornée; ce qui se serait ajouté à la précédente limitation acceptée en 1974 lors de la ratification de la Convention européenne des droits humains (qui a soumis la Suisse à la Cour européenne de Droits humains, organe du Conseil de l’Europe auquel la Suisse a adhéré dès le 6 mai 1963).

Ces deux reproches opposés -celui d’avoir sous-estimé les effets économiques délétères à long terme de la rupture des négociations de l’accord-cadre, et celui de ne pas avoir souligné les valeurs politiques et symboliques de la souveraineté helvétique, soulignées par le Conseil fédéral- ont un point commun: ils ignorent la complexité de la situation. La complexité vient de la conjonction de plusieurs logiques différentes; ici, à l’évidence, celle du développement économique et celle de la souveraineté politique. J’ignore quelles seront les suites, tant économiques que politiques, de cette rupture du 26 mai dernier ; je ne sais pas si, par la bande, un compromis, voire un modus vivendi, s’établira plus ou moins instable, plus ou moins accepté par les deux partenaires. Mais je pari quand-même que ce compromis -s’il advient- ne sera pas, comme certains prophètes de malheur le prévoient, le pot de terre suisse contre le pot de fer européen. C’est une question de résilience et de discernement.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×