Société "dans son ensemble"? Non!

J’épingle ici une formule malheureuse parue sur le site du Temps, fin mai dernier. Des insultes racistes inqualifiables contre le Brésilien Vinicius Junior furent entendues lors d’un match qui opposait le Real Madrid à une équipe de Valence. Ce qui valut à trois jeunes d’être appréhendés par la police espagnole au titre de comportements racistes. Rapportant ces propos injurieux, le chroniqueur du Temps rappelle que cet événement a provoqué indignations et débats. Il conclut: «Une problématique qui force la société dans son ensemble à faire son autocritique.»

Je ne peux que protester à mon tour contre cet amalgame qui identifie le comportement de quelques-uns avec le comportement de l’ensemble d’une société. Certes, les sociologues se plaisent à épingler l’habitus, cette matrice de perception, d’évaluation et d’action, qui forme comme l’ADN des membres d’une société. Certains sociologues ont même parlé de ‘code génétique’ d’une société qui, à la manière du code de la route, permettrait d’expliquer les penchants, voire, comme ici, les travers, des comportements.

Mais de même que les individus ne peuvent pas se réduire à leur ADN, de même ‘la société dans son ensemble’ ne peut pas être identifiée à la posture de quelques-uns de ses membres.

Même les vrais jumeaux ne se comportent pas de la même façon, même si leurs visages peuvent difficilement être distingués. L’histoire de chacun façonne le comportement; et la responsabilité reste toujours individuelle.

Certes, l’éducation fait beaucoup, et la culture ambiante pèse sur le comportement de chacun. Les responsables en ce domaine (parents, professeurs, organisateurs des organisations sportives et des institutions faîtières) sont pleinement fautifs des décisions prises dans leur domaine de compétence. Mais cela ne transmet en rien la responsabilité de chacun sur ‘la société dans son ensemble’. D’autant plus qu’est responsable la société, c’est à dire tout le monde en masse, la responsabilité de chacun est infime. Ce ne fut heureusement pas la manière de raisonner de la police espagnole.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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