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Showbiz et université, même combat?

Dans une chronique parue dans Le Temps du 8 mai 2023, il est fait état de deux chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne sollicités –en vain semble-t-il– par une université saoudienne.

Ce n’est là qu’un exemple d’un phénomène courant depuis que l’économie est devenue une économie de la connaissance. Après la dernière guerre mondiale, des savants allemands ont ainsi été récupérés par les USA, contribuant aux premières tentatives américaines de la conquête de l’espace. Autre versant de l’exode des cerveaux, et sur un ton plus pessimiste, depuis longtemps déjà, on a reproché à certains étudiants africains de répugner à revenir dans leur pays qui auraient eu pourtant bien besoin de leurs compétences acquises à l’étranger.

La motivation qui préside à ce phénomène ne tient pas exclusivement aux universités et aux économies étrangères. Elle participe au mouvement général d’émigration, fondé sur l’image favorable du milieu étranger. Le pré du voisin est toujours plus vert, et l’envie domine, même lorsqu’elle ne repose que sur des appréciations subjectives. Cela ne fonctionne cependant que tant que le pays d’appel (ou d’accueil) a les moyens de gratifier le migrant dont il espère profiter. À défaut des moyens, l’illusion suffit pour que le phénomène se poursuive durant un certain temps. (Comme chacun sait, l’imaginaire est l’un des vecteurs de la motivation.)

J’épingle ce phénomène psychosociologique car il témoigne de la culture concurrentielle de notre système économique (certains le qualifieraient capitaliste, mais ce serait trop restrictif). Les universités ne sauraient échapper à rapport-au-monde où celui ou celle qui emporte la plus grosse mise est celle ou celui qui peut se placer en haut du podium. Il leur faut donc attirer les meilleurs étudiants, les meilleurs professeurs pour gagner des places dans le classement et ainsi sattirer subventions, capitaux et investissements qui leur permettront de donner à leurs professeurs de meilleurs instruments de travail, à leurs laboratoires de meilleurs outils, ce qui leur permettra peut-être de gagner encore quelques places et d’attirer les meilleurs éléments qui favoriseront leur développement futur.

Ce cercle vertueux produit par la concurrence est celui-là même du show business. Comme pour les moteurs de recherche sur Internet, seuls les premiers de la liste attirent l’attention. J’entends la dénonciation de celles et ceux qui voient dans cette logique concurrentielle une logique capitaliste, voire la préfiguration de dérives perverses où l’université ‘joue’ l’originalité et le spectaculaire plutôt que la qualité. Je réponds que le statut –public ou privé– des universités n'est pas ici un critère pertinent. Car seule importe la stimulation permise par la concurrence. Les pédagogues parleraient d’émulation qui promeut –entre autres effets– la dignité due au travail intellectuel.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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