Réchauffement climatique: comprendre les ‘incroyants’

Sur horizon de la votation confédérale du 18 juin 2023 relative à la loi sur le climat, je ne peux que souscrire à la chronique parue dans Le Temps de jeudi 8 juin titré Réchauffement climatique: comprendre ceux qui n’y croient pas.

J’imagine que toutes les électrices et tous les électeurs se sont déjà fait une opinion, éventuellement transcrite dans leur matériel de vote, et envoyée à qui de droit dans les temps impartis. Il est donc inutile de rappeler longuement les arguments qui s’affrontent. Pour les uns: hausse des prix sans que soit garantie une production électrique suffisante, complexité difficile à mettre en œuvre. Pour les autres: souplesse d’application à des coûts maîtrisés.

Par-delà l’événement électoral, ce qui me semble toujours actuel, car fondement du vivre-ensemble, c’est la posture évoquée par la chronique du Temps: comprendre celles et ceux qui ne croient pas au réchauffement climatique. C’était l’attitude promue par Spinoza dans son Traité théologico-politique (1670) sur la tolérance: ne pas louer, ne pas blâmer, mais chercher à comprendre.

Or, il est urgent de chercher à comprendre les climatosceptiques si l’on ne veut pas provoquer des réactions violentes lorsqu’il faudra passer aux actes. Sur notre planète, la proportion des gens sensibles à la hausse des températures reste stable, proche de nonante deux pour cent. En revanche, la proportion des climatosceptiques tend à croître, tout en restant très minoritaire: plus de trente-sept pour cent –en augmentation de cinq points en trois ans– selon la dernière enquête récurrente de l’Ipsos. Contrairement à une opinion dominante, les jeunes ne sont pas moins climatosceptiques que leurs aînés. Autojustification? la croissance est identique (de cinq points entre les deux derniers sondages) de celles et ceux qui croient que le réchauffement climatique relève non pas de l’activité humaine (rizières, productions animales, déforestation, industries, transports) mais d’un phénomène naturel périodique qui a vocation, comme par le passé, à se résorber.

Le chroniqueur du Temps évoque «La perte de confiance dans les élites, et les bulles de filtres des réseaux sociaux». Le doute quant au lien entre émission d’oxyde de carbone, effet de serre et réchauffement, et d’une façon générale, le scepticisme évoqué par le chroniqueur touchant les conclusions scientifiques, rejoint l’interrogation d’un journaliste du même journal sur le même sujet, début mai. Avant lui, cette question fut posée dans le domaine biomédical à propos des manipulations génétiques:

«comment faire pour que nous ayons enfin envie d’écouter les scientifiques?»

La réponse tient en ce que le génial vulgarisateur scientifique Étienne Klein a souvent souligné. Les progrès scientifiques (y compris dans la pensée du public) sont dus à celles et ceux qui ont osé penser contre soi-même, c’est à dire contre l’évidence, souvent convoqué sous le masque du ‘bon sens’. Si une plume et une plaque de fonte tombent exactement à la même vitesse dans le vide, ce n’est pas parce qu’elles sont attirées par la terre de la même façon, c’est parce que la terre produit une accélération croissante, selon la théorie de la relativité émise par Einstein voici plus d’un siècle, et systématiquement vérifiée depuis. C’est contre-intuitif. Pour celles et ceux qui n’osent pas penser contre l’évidence, il est tentant, comme dit le chroniqueur du Temps, de «croire ce qui nous arrange».

J’ajoute deux sous dans cette musique. L’électeur ne peut qu’être sensible à l’argument de la hausse des prix –même s’il est relativisé par les économistes et les défenseurs de la loi. Car la hausse des prix sur les deux dernières années fut particulièrement violente; et je comprends pourquoi, au niveau mondial, le niveau de vie reste la première des préoccupations, loin devant le réchauffement climatique qui tient seulement la quatrième position.

Cette hausse des prix fait d’autant plus peur que la lutte contre le réchauffement climatique ne peut que bouleverser l’organisation économique. Certains y gagneront (quand?) certains y perdront (combien?). Mais personne ne sait dans quel camp le mettra le hasard de la lutte contre le réchauffement.

Même lorsque le général est certain (?) de remporter la victoire, le soldat n’a aucune certitude de s’en sortir sans frais.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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