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Quand immigration rime avec innovation

Au moment où la France voisine se déchire sur le terrain de la politique migratoire, où son administration n’arrive pas à mettre en œuvre les «obligations de quitter le territoire» (12% seulement y sont effectives, pour une moyenne européenne de 43%, et 60% pour l’Allemagne), où le coût de l’immigration en France sont estimés à quelques trente milliards d’euros par an, où ses statistiques ethniques sont volontairement occultés pour ne pas nourrir la xénophobie qui apporte de l’eau au moulin de l’Extrême Droite, une étude publiée par Avenir-Suisse enregistre l’apport de l’immigration en faveur de l’innovation. Il ne s’agit pas simplement d’une immigration chargée de compenser le manque de main d’œuvre dans les métiers en déshérence, mais de l’innovation réalisée via la création d’entreprise, la recherche et les nouvelles formes d’organisation.

Le phénomène n’a rien d’étonnant, encore faut-il en comprendre les conditions. La première est de ne pas prendre l’immigration ‘en masse’. On sait que l’immigration sélective, choisie en fonction des besoins de l’économie nationale, favorise la croissance économique. Voici déjà près d’un demi-siècle, John Kenneth Galbraith, économiste réputé et ancien ambassadeur des USA en Inde, dans un livre au titre provocateur Théorie de la pauvreté de masse, expliquait que les émigrants pouvaient favoriser la croissance économique. Aux raisons de rajeunissement et de légère croissance démographiques s’ajoutaient généralement des qualités humaines (énergie, goût du risque, adaptabilité, esprit entreprenant) qui ne pouvaient qu’être utiles au pays récipiendaire.

Mais cette condition n’est favorable qu’accompagnée d’une autre, plus fondamentale en ce qui touche l’innovation (objet de l’étude d’Avenir-Suisse). Les juristes parleraient peut-être d’Affectio societatis, c’est à dire d’un sentiment d’appartenance, d’une volonté d’intégration culturelle qui exclut une immigration motivée par les seuls avantages matériels et sociaux promis sans contreparties par le pays d’accueil. On en est loin en France pour certaines catégories de migrants (70% de jeunes migrants – de moins de 25 ans – venant de pays à majorité musulmane, estiment que la Charia l’emporte sur les lois de la République). Reprenant un article paru dans Le Figaro (Paris) du 12 mai dernier, la livraison d’automne de la revue française Commentaire donne la parole à un ancien membre du Haut Conseil à l’intégration et au directeur pour la Fondation de l’innovation politique. Il est constaté que la France est particulièrement attractive sans contrepartie. Est évoqué l’exemple des ‘visas de santé’ (sic) qui permettent à certains étrangers de se faire soigner quasi gratuitement en France, y compris pour des soins onéreux.

La morale de cette histoire, confirmée par l’étude publiée par Avenir-Suisse, penche vers une politique migratoire qui ne soit pas idéologique. L’accueil tous-azimuts est une position extrême, non sans arrière-pensée électorale pour certains partis; elle est aussi la position humaniste colorée parfois d’un zest de religiosité chrétienne. L’accueil sélectif qui ne raisonne que sur la seule logique économique présente aussi des limites. En ne répondant qu’à des besoins de court terme, on tend à spécialiser chacun dans un domaine de plus en plus étroit et rend plus difficile la collaboration et l’inventivité visée par l’étude d’Avenir-Suisse. Toute l’histoire des transferts de technologie en témoigne: une culture commune permets à des spécialistes de différentes disciplines de se comprendre à demi-mot; chose nécessaire pour la recherche d’une plus grande productivité du travail et de la recherche, comme pour un meilleur vivre-ensemble. L’étude d’Avenir-Suisse le confirme.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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