Ne pas juger mais Chercher à comprendre

Avant l’été, un Internaute a réagi avec raison à une sentence que j’aime beaucoup, au point de l’utiliser à tout propos. J’en profite pour le remercier de cette occasion qui me permet de préciser ma pensée. La sentence litigieuse était tirée du Traité théologico-politique de Baruch Spinoza: «Ne pas louer, ne pas blâmer, mais chercher à comprendre». Je la citais à propos des sceptiques qui mettent en doute les travaux scientifiques du GIEC sur l’origine humaine du réchauffement climatique.

Je reconnais que cette phrase souvent citée prête à confusion. Car elle pourrait impliquer une démission face aux blocages intellectuels ou psychologiques de certains de nos contemporains devant les conclusions scientifiques. Ce blocage mental marque aussi la position cynique de certains jeunes d’aujourd’hui qui pensent que de toutes les façons, c’est trop tard, donc tout effort est inutile. C’est également ce que cache un sophisme ‘moral’ qui me fut opposé lors d’une intervention sur ‘notre responsabilité envers les générations à venir’: «Je n’ai rien reçu des générations à venir, pourquoi leurs devrais-je quelque chose?»

La sentence de Spinoza peut se lire à deux niveaux, le premier est épistémologique, le second est spirituel; or les deux plans appellent l’un et l’autre ‘un doute surmonté’.

Sur le plan épistémologique –je n’apprendrai rien aux scientifiques– il faut se souvenir que la démarche scientifique consiste à expérimenter le plus rigoureusement possible des hypothèses –qui sont une forme de doute– (elles ne sont pas des certitudes), hypothèses qu’il faut valider pour circonscrire ainsi leur domaine de validité. Il en ressort une liste de conditions hors desquelles le phénomène ne peut avoir lieu.

Celles et ceux qui refusent les conclusions du GIEC récusent en fait cette démarche scientifique. Pour expliquer l’augmentation de la température du globe, ils remplacent l’hypothèse (l’activité humaine en ses multiples composantes agronomiques, industrielles, culturelles) par la cause unique qui leur plait –c’est à dire celle qui justifie de ne rien faire. D’où il s’en suit qu’ici «chercher à les comprendre», ce n’est pas excuser, et encore moins justifier, ni même plaindre. C’est simplement mettre au jour et dénoncer les points aveugles de leur argumentation.

Cette démarche est d’autant plus nécessaire que, au sens strict du mot, le phénomène du réchauffement est ‘complexe’; c’est à dire qu’il croise un grand nombre de causes humaines, sociales et politiques, qui interagissent et varient constamment. Il s’agit donc de dénoncer, ici comme partout ailleurs, le raisonnement monologique, disons unilatéral, qui croit maîtriser le phénomène en lui assignant une cause unique.

La sentence de Spinoza doit également se lire à un second niveau, le niveau spirituel. Je ne peux ici que renvoyer au petit paragraphe qui ouvre le livret des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. C’est écrit dans un style du XVIe siècle, voici donc près d’un demi millénaire, mais la posture est facile à envisager et la transposition quasi immédiate. (Il s’agit de la relation entre celui qui dirige l’exercice –le ‘directeur’, et celui qui le pratique, le ‘retraitant’.):

«Pour que le directeur et le retraitant trouvent d’avantage aide et profit, il faut présupposer que tout bon chrétien doit être plus prompt à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner. Si l’on ne peut la sauver, qu’on lui demande comment il la comprend; et s’il la comprend mal, qu’on le corrige avec amour; et si cela ne suffit pas, qu’on cherche tous les moyens adaptés pour qu’en la comprenant bien, on la sauve.»

Il ne s’agit donc pas de démissionner face à la position des sceptiques, ou de faire comme si les arguments du GIEC étaient nuls. Il s’agit en fait de comprendre pourquoi les opposants raisonnent comment ils raisonnent. Cela n’a rien à voir avec l’attitude qui consiste à «prétendre blanc ce que je vois noir» pour faire plaisir aux sceptiques.

Il reste que, contrairement à l’opinion souvent professée par les femmes et les hommes politiques, il ne suffit pas de discuter pour convaincre l’adversaire. Ce serait oublier que, dans ‘dialogue’ il y a ‘dia’, qui veut dire séparé (comme dans dialyse, ou dans diachronie).

C’est la raison pour laquelle les décision politiques, seraient-elles prises au nom de l’intérêt général, susciteront rarement l’adhésion unanime. Sur ce point, une bonne relecture du sociologue Max Weber serait très utile; car il montre que, dans les sciences humaines et sociales, plus encore que dans les sciences naturelles, les variables sont nombreuses, les attentes disparates et les positions relatives et changeantes. Quant aux intérêts, ils sont souvent contradictoires, non seulement entre les groupes dans les espaces sociaux, mais encore pour le même individu selon l’horizon de temps qui est le sien (horizon qui varie, lui aussi, selon ses groupes d’appartenances, famille, voisinage, commune, métier, âge, etc. et selon les circonstances). Reste alors à veiller à ce que les décisions politiques n’écrasent pas celles et ceux qui sont les plus faibles.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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