Les spiritualités alternatives sont-elles l’avenir des Églises?

«Les spiritualités alternatives sont-elles l’avenir des Églises?» telle est la question sous-jacente au premier Festival de spiritualités tenu à Tramelan fin septembre dernier. La question reprend le titre d’un article paru le 26 septembre dernier dans l’organe protestant d’information www.protestinfo.ch , article résumé sous ce même titre dans Le Temps (28 septembre).  Spirites, médiums, druides, n’gangas camerounais, psychokinésiologues, devins, soufis, kabbalistes et sages de toutes robes et de toutes confessions, peuvent-ils se rencontrer sur un terrain dépourvu de frontières religieuses? Les Églises réformées de Berne-Jura-Soleure, organisatrices de la rencontre de Tramelan, en ont fait le pari en misant sur l’idée de transcendance.

Un Internaute m’a sondé à ce sujet: l’avenir des Églises passe-t-il par la spiritualité? Ma réponse spontanée est négative. Ma réponse réfléchie est positive, car la vitalité religieuse repose sur une spiritualité. Mais pas n’importe laquelle. Réponse négative tout d’abord, car :

spiritualités et religions ne jouent pas sur le même terrain.

La spiritualité relève d’une expérience personnelle, intime, subjective, singulière, à la limite incommunicable. La religion en revanche s’inscrit dans le domaine public, par des manifestations cultuelles et caritatives. Ce qui interdit de juger depuis l’extérieur de la spiritualité d’autrui; alors que la religion s’expose aux analyses sociologiques, politiques, psychologiques et même économiques, assorties des critiques inévitables au nom de la morale dominante.

Il ne me viendrait pas à l’esprit de mettre en doute l’expérience spirituelle présentée par celle ou celui qui l’a vécue. De quoi s’agit-il en effet? d’une expérience singulière qui fait penser à la fusion du bébé avec sa mère nourricière. Bien décrite (pour son ami Sigmund Freud) par l’homme de lettres Français Romain Rolland. Une semblable évocation se présente également chez le philosophe André Comte-Sponville dans son livre L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu. Cette expérience se rapproche de la conscience prajnique de la tradition bouddhiste, sentiment cosmique, qui fait éclater le contour des formes environnantes tout autant que l’individualité, sentiment de plénitude où l’individu ne sent plus ses limites. Cette expérience s’harmonise donc assez bien avec la visée occidentale du ‘développement personnel’. Singulière, elle est inattaquable.

Cependant cette expérience reste étrangère à l’expérience spirituelle dont les religions ont besoin. Expérience de l’union des personnes dans une communauté de vie: membres d’une équipe unis par l’esprit d’équipe, membres d’une famille unis par l’esprit de famille. Cette expérience spirituelle propre aux religions est paradoxale; car elle unit dans un tout des parties distinctes. Dans ce paradoxe se cache le sens du mot religion, à la manière dont on parle communément de l’esprit d’un texte qui unit mots, phrases, et paragraphes distincts, en gardant l’intuition de la totalité organique. Lire consiste justement à relier, soit des mots et des paragraphes, soit des membres d’une même communauté, soit des événements disparates d’une vie humaine ou d’une histoire. On retrouve ici les deux significations du mot religion: relier les membres d’une communauté, et lire pour les unifier les événements de sa propre histoire.

Les organisateurs de la rencontre de Tramelan ont raison de parler d’une transcendance capable de relier diverses traditions spirituelles. À condition de préciser que cette transcendance est celle qui préside à la religion. Elle est d’un type particulier: elle n’est pas extérieure aux éléments qui sont reliés. À la manière du sens de la phrase qui transcende les mots de la phrase sans leurs être extérieur. Sur le terrain explicitement religieux, l’expérience spirituelle qui relie est celle où se déploie les expressions cultuelles et caritatives: la capacité de relation avec autrui. L’esprit (que présuppose le mot ‘spirituel’) comme l’esprit d’équipe, distingue pour unir; il transcende toutes les parties (et tous les partis) en respectant les idiosyncrasies de chacun. Pour cela, il chasse les idées préformatées, les habitudes non critiquées, le mimétisme paresseux. Cette transcendance-là fut le pari (gagné?) à Tramelan par les Églises réformées de Berne-Jura-Soleure.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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