L’entraînement du carême

Le mercredi 14 février commence le carême de cette année 2024. Un temps de recueillement, de travail sur soi-même, de bienfaisance et de silence. Voici de cela quelques jours, un témoignage a frappé mon esprit sur les bienfaits du silence méditatif. J’ai cru d’abord qu’il s’agissait d’une publicité rédactionnelle au profit de l’un(e) ou l’autre de ces gourous qui pullulent dans les eaux du développement personnel. Les coachs en tout genre peuvent effectivement aider les personnes stressées, exténuées, et les aider à retrouver une certaine conscience de soi. À la réflexion, derrière l’apparence se cachait un conseil de bonne valeur spirituelle. Le témoignage était celui d’une Lausannoise en proie à un Burn-out profond qui a trouvé le salut (c’est le même mot que santé) au Cambodge dans «une retraite méditative de dix jours» (Le Temps du 10 janvier 2024). Le chroniqueur qui rapporte cette expérience s’interroge:

Et si le silence était notre bien le plus précieux?

Peut-être! Mais pas n’importe quel silence. C’est là que gît la dimension spirituelle de la situation. Car c’est moins le bruit de la rue et les klaxons des voitures que les préoccupations personnelles qui provoquent cette aliénation psychosomatique placée trop facilement sur le compte du bruit sonore. D’ailleurs le témoignage cité par le journaliste présente comme cause du Burn-out non pas le bruit extérieur mais la suractivité de ce cadre d’entreprise. Blaise Pascal ajouterait sans doute:

Bien que plus agréable, le divertissement produit tout autant –mais inconsciemment– un pareil éclatement de la personne.

En sollicitant un peu l’idée de carême, je pourrais dire que l’antidote au bruit de la vie, c’est le silence du désert. Il faudrait d’ailleurs nuancer. Car, selon les Écritures judéo-chrétienne, le désert est certes le lieu où l’on se retrouve face à soi-même, mais aussi le lieu des tentations.

Reste à comprendre comment fonctionne le silence pour produire un tel effet bénéfique d’unification de soi-même. L’image qui monte immédiatement à l’esprit est celle des ordinateurs qui parfois se plantent au point d’interdire, tel un Burn-out, toute manipulation, travail ou distraction. Dans de tels cas, il suffit souvent d’éteindre l’ordinateur. On le rallume, et le voilà qui fonctionne à nouveau! Cette manière de comparer le cerveau à un ordinateur n’est pas neuve; elle présente toutefois l’inconvénient d’oublier qu’il est parfois impossible de ‘déconnecter’. Les préoccupations ont ceci d’intrusif qu’elles nous accompagnent partout, surtout quand on cherche à les oublier. C’est pourquoi le silence réparateur est plutôt semblable au ‘rien’ d’où, selon les astrophysiciens, notre univers est sorti.

En dehors de ces comparaisons plus ou moins poétiques, le silence réparateur du carême dont il est ici question se nourrit de l’expérience basique que l’on trouve dans toutes les traditions spirituelles, agnostiques, religieuses ou athées: une qualité d’attention, où se combinent le corps, avec ses expériences de la différence, et l’horizon d’attente qui met en rapport le présent dégénéré et l’avenir espéré.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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