Le bonheur sans les enfants

«Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.» Les contes pour enfants de jadis se terminaient classiquement par cette phrase, supposée résumer le bonheur. En ce premier blog de l’année 2024, je souhaite le bonheur à chacune et à chacun, même si je ne crois pas que le bonheur rime automatiquement, à la manière des contes d’antan, avec le mariage et le nombre d’enfants. Charles Péguy ne disait-il pas que les seuls aventuriers des temps modernes, c’étaient les parents!

Aujourd’hui, en Suisse comme dans beaucoup de pays occidentaux, le joug conjugal, pour beaucoup,  ne se confond plus avec l’expérience du bonheur sans nuages. Quant au nombre d’enfants, ce n’est plus l’assurance vieillesse de naguère. Les assurances vieillesses, les assurances-vie et autre capitalisations ont permis de compter non plus sur la piété filiale, mais en partie sur la solidarité nationale, en partie sur une bonne organisation économique et financière.

Le corollaire de cette diminution du nombre des enfants par famille a eu pour effet la croissance de la valeur subjective donné à chacun d’eux. Lorsque le nombre de têtes blondes oscille entre un et deux (la moyenne actuelle en Europe est de 1.5) les parents investissent sur chacun des enfants des attentes et des rêves qui se distribuaient jadis plus largement dans les grandes phratries. Ce phénomène qui concentre l’attention sur quelques êtres en petit nombre explique en grande partie, selon les démographes qui s’intéressent à la sociologie religieuse, la «diminution des vocations» dans le monde catholique occidental. Explication certes curieuse aux yeux du théologien pour qui l’appel à la vie religieuse, étant une question de liberté individuelle conjuguée à la Grâce divine, ne saurait dépendre du seul facteur humain saisi par la démographie.

C’est le même intérêt pour l’individu qui pousse la recherche médicale vers les séniors. Le nombre des naissances diminue, la proportion des vieillards augmente. Bref la Suisse vieillit. Les statistiques démographiques le montrent. Comme les autres pays de l’Ouest européen, l’immigration –et le plus grand nombre d’enfants issus de la première génération d’immigrants (mais guère des générations suivantes)– ne permet pas de ralentir cette évolution. Qui s’en inquiète? D’abord, bien sûr, les économistes qui savent que le dynamisme et la créativité, sans parler de la résilience, sont plus forts dans une population jeune qui, par ailleurs, consomme davantage, ce qui favorise la croissance économique. S’en inquiètent également les politiciens qui craignent qu’un vieillissement de la population ne créent outre un biais favorable au conservatisme, une sorte d’appel d’air attirant des gens qu’il sera difficile de sélectionner. À ces deux catégories (économistes et politiciens) qu’inquiète le vieillissement de la Suisse s’ajoutent tous ceux qui désirent sauvegarder intégralement la culture héritée des générations passées.

Mon souci n’est ni celui des économistes, ni celui des responsables politiques, ni même celui des garants de la culture helvétique. Certes, restreindre le nombre d’enfants pour offrir à chacun d’eux les meilleures chances de progresser dans la vie, allonger la durée de vie des personnes âgées et la rendre supportable jusqu’au dernier jour, tout cela est nécessaire. Mais, à mes yeux, ce pas suffisant. Ce nécessaire exige un complément formulé ici en forme de vœux de bonne année 2024:

«Il faut que ce qui est vécu ait du sens, un sens que seule peut donner des relations humaines authentiques qu’il convient de cultiver jusqu’au bout»  

Les conditions matérielles et biologiques de la vie sont importantes; faire en sorte que cette vie ait un sens par des relations humanisantes est essentiel.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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