La paix exige le courage d'appeler le mal par son nom

Andriy Zelinskyy sj est aumônier militaire en Ukraine. Il vit au cœur des combats depuis le début de la guerre. Parues dans le magazine allemand "Stimmen der Zeit" d'octobre, il nous fait part de ses réflexions depuis Kiev. Récit.

J'ai passé suffisamment d'années dans un monde détruit par les balles, les mines et les missiles pour réussir à comprendre ce qu'est une guerre. Dans mon esprit, il s'agit d'une expérience humaine amère de la réalité vécue au-delà de toute limite. En tant qu'êtres humains, nous ne pouvons vivre que dans un monde où règnent l'ordre et la sécurité. Nos limites physiques et psychiques nous rendent très sensibles aux changements de notre environnement apprivoisé. La notion de frontière est constamment présente dans notre expérience sociale de la réalité. Mais il existe une frontière très dangereuse, qui est celle de la frontière de la condition humaine. Dans le chaos de l'existence humaine, nous avons souvent besoin d'une voix, forte et franche, qui nous arrête avant que nous nous approchions trop près de cette limite fatale. Lorsque tout s'assombrit et que les contours deviennent flous, nous avons besoin d'une voix qui résonne aussi fort qu'un amour véritable et sincère.

La paix n'est pas seulement un mot. Ce n'est pas un mantra magique. En Ukraine, nous l'avons appris d’expérience. Elle ne naît pas de nos appels puissants et de nos répétitions incessantes. La paix n'est pas une question de rhétorique, elle est question de courage. La foi est un don divin qui exige le courage du cœur humain pour croire, pour accepter comme vrai ce qui n'est pas forcément évident. La paix est un cadeau, pas un fardeau. Et un cadeau demande le courage d'être reconnu et accepté comme tel. Ce courage, nous le puisons dans notre foi: Dieu ne nous oblige pas à accepter Sa grâce salutaire, mais Il nous invite à trouver assez de courage pour chercher la vérité et lutter pour la justice. La paix du Christ n'est pas une idéologie. Il ne suffit pas d'être simplement «pour la paix»; nous, les disciples de Jésus de Nazareth, devons être des instruments courageux du pouvoir de guérison de Dieu. Pour y parvenir, notre société humaine a besoin d'une voix forte et claire qui exprime sans crainte des normes éthiques partagées par l'ensemble de l'humanité et qui dénonce ouvertement leur violation. Car une paix véritable exige des fondements solides de vérité et de justice.

L'histoire a clairement montré que la paix ne peut pas être obtenue par un simple apaisement. Parfois, il semble que nous ayons oublié le prix de la paix dont nous avons bénéficié pendant des décennies après la Seconde Guerre mondiale. Nous l'avons remplacée par des intentions pieuses au lieu de prendre nos responsabilités.

L'agression russe contre l'Ukraine a commencé en 2014 avec l'annexion de la Crimée. La réaction des «honnêtes gens» a été de ne pas «sur-réagir» afin que rien de pire ne puisse arriver. Ces derniers ont réussi à faire taire leur conscience et à bannir les mots justes de leur vocabulaire. Mais le mal aime se faire petit, ne pas être nommé, susciter la peur afin de mettre à exécution ses plans malveillants. La Russie a ainsi poursuivi sa guerre hybride, qui a fait plus de 14’000 victimes en huit ans (2014-2022) et forcé plus de deux millions de personnes à quitter leur foyer et à fuir les territoires occupés. Mais là encore, les «honnêtes gens» ont décidé de fermer les yeux devant les chars et l'artillerie russe sur le sol ukrainien, «afin que rien de pire ne puisse arriver».
Pourtant, le pire est arrivé. Inévitablement, la guerre a dégénéré en une opération militaire de grande envergure avec des frappes aériennes et la destruction d'infrastructures essentielles par des roquettes et des missiles, tuant des enfants innocents. Ces attaques perpétrées durant l'hiver avaient pour but de priver d'électricité, de chauffage, d'eau et de moyens de communication des villes ukrainiennes densément peuplées. Tout ceci se déroule en ce moment même, au début du 21e siècle, dans une Europe déjà meurtrie par l'expérience des deux guerres mondiales précédentes et qui n'a cessé de répéter au cour des dernières décennies: «La paix! La paix! La paix!»

Que s'est-il passé? Où avons-nous échoué?

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