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La myrrhe des Rois mages

Et si on profitait, entre Noël et Nouvel an, pour partir à la chasse au trésor? Étienne Perrot sj nous y invite en quatre épisodes entre le 25 au 31 décembre. Avec, pour questions clé, que sont devenus les cadeaux faits par les Rois mages au petit Jésus, et que représentent-ils au XXIe siècle? Aujourd’hui, dernier épisode, la myrrhe des Rois mages!

Les Rois mages ont déposé aux pieds de l’enfant Jésus trois signes du pouvoir royal : l’or, l’encens et la myrrhe.  Mais, quelle ironie que cette royauté quand on voit ce que Jésus en a fait! Il n’a pas utilisé le pouvoir de l’or pour acheter les consciences; il n’a pas brouillé les relations sociales en les enveloppant dans la fumée de l’encens; car, comme l’or, l’encens déposé aux pieds de l’enfant Jésus s’est dispersé, emportant avec lui le rêve d’une société harmonieuse où chacun, respirant la fumée commune, fusionne les membres d’une humanité enfin unifiée.
Mais alors, si le trésor des Rois mages déposé aux pieds de Jésus n’est ni dans le pouvoir de l’or, ni dans le sentiment fusionnel de l’encens, où se cache-t-il? Il ne nous reste plus à le chercher que du côté de la myrrhe.

La gomme odoriférante qui suinte de l’arbre à myrrhe n’aurait pas connu un tel succès si, mélangée à quelques huiles végétales, elle n’avait servi chez les hébreux à oindre les rois. L'onction sainte, conservée par les chrétiens comme signe royal du baptisé, du confirmé, du prêtre, du malade (ce que naguère, on appelait «l’extrême onction»), a perdu son sens symbolique. Avec une pointe d’humour, je dirai que c’est la faute aux détergents efficaces. Aujourd’hui, une tache d’huile disparaît sous l’action d’un bon produit utilisé par toutes les ménagères (je me garde de citer une marque, pour éviter toute publicité rédactionnelle). Il n’en allait pas ainsi dans les temps anciens. Une tache d’huile était si tenace que l’on disait -et peut-être en était-on persuadé- que l’huile pénétrait même la pierre la plus dure. Indélébile car pénétrant au fond, ainsi pourrait-on résumer le symbole de l’onction.

Au fin-fond des couches de soi

Morale de cette histoire: le trésor des Rois mages ne se cache ni dans le pouvoir économique symbolisé par l’or, ni dans le consensus social et la fusion des sentiments collectifs, symbolisés par l’encens, mais dans le fin-fond de cette vie intérieure symbolisée par la myrrhe. Le trésor semble ici à portée de la main. Mais est-il possible de toucher le fin-fond de soi-même comme on touche le salaire de ses efforts? Non. Car frappe ici la logique de l’oignon.

On peut penser naïvement que la vérité de l’oignon -ici le trésor apporté par les mages- se cache sous la pelure de l’herbacée. Mais, si j’enlève la pelure, que vois-je? une autre enveloppe. Si j’enlève cette enveloppe, se découvre une troisième enveloppe, et ainsi de suite, ad nauseam, comme des poupées russes emboîtées les unes dans les autres, et qui me conduiraient jusqu’à une poupée de taille infinitésimale, et qui ne serait toutefois pas la dernière. Certes, j’arrête de dépouiller l’oignon de sa pelure lorsque je suis agacé -ou désespéré- de constater que mes efforts ne me conduisent jamais à l’intérieur de l’intérieur, au plus intime de moi-même. Car le plus intime ne m’appartient pas. Je n’atteindrai donc jamais le trésor apporté par les rois mages, qu’en acceptant de la chercher sans jamais pouvoir m’en accaparer.

L’inaccessible trésor

Finalement, où est passé le trésor des rois mages? Là même où était caché le trésor promis par le vieux laboureur de la fable de La Fontaine. Pour lui, le travail est un trésor. Avec Jésus on ne peut mettre la main ni sur l’or, ni sur l’encens, ni sur la myrrhe. Demeure alors seule cette royauté paradoxale, comme toute expérience subjective et singulière. Expérience sensible et singulière, expérience de Dieu diraient les théologiens, mais tout aussi bien expérience de l’altérité, comme disent les philosophes, celle d’un autre radicalement autre au point de ne jamais se laisser saisir. C’est l’expérience d’un intime inatteignable comme autrui est insaisissable; car, qu’il s’agisse de moi-même ou d’un autre, le toi et le moi ne s’identifient jamais à l’idée que j’en ai. Cette expérience fondamentale me découvre un trésor. Quel trésor?

Mon trésor -comme dit la maman regardant tendrement son petit enfant- ne m’appartient pas. Mais il me permet d’envisager l’avenir (et d’abord l’année qui vient, celle de 2022 selon le comput occidental) non pas comme un programme précisé à l’avance et que j’ai déjà en tête, mais comme l’accueil de ce qui va m’arriver de bon, ou de moins bon. Et puisque l’on est en période de vœux, je souhaite, pour moi et pour vous, que ce soit le meilleur !

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