Le 30 novembre 2021, un document interne de la Commission européenne, sous l’autorité de la Commissaire Helena Dalli chargée de l’égalité, suggère -en autres propositions- de supprimer la référence à Noël dans l’expression des vœux à l’occasion des fêtes de fin d’année (occidentale). La raison en est que de telles expressions ne seraient «pas assez inclusives». Devant le tollé provoqué par cette proposition, la Commission a retiré son texte.
Ce coup fourré me suggère trois remarques. La première est que la proposition de la Commission allait dans le sens du courant culturel de l’Europe. Beaucoup d’Européens, y compris parmi les chrétiens convaincus, suivent l’exemple de certains commerçants qui, pour ne pas marquer ce qui pourrait passer pour une préférence religieuse, affichent prudemment «bonnes fêtes» sans trop préciser ce qui est fêté (les enfants, la famille, la naissance de Jésus, les vacances d’hiver, la nouvelle année occidentale – distinguée du Nouvel an chinois, vietnamien, ou autres).
Il y a ceci dit un certain respect, me semble-t-il, à ne pas vouloir plaquer une étiquette religieuse sur une réjouissance célébrée par un ami. Je partage parfaitement ce souci -si la Commissaire a bien ce souci-là, ce dont je doute- car je le pratique moi-même, réservant mes souhaits de bonne fête religieuse selon ce que je connais des fêtes et des convictions de mes amis (musulmans, juifs, bouddhistes ou chrétiens - parmi lesquels je distingue les Orthodoxes qui célèbrent certaines fêtes chrétiennes à des dates différentes).
Quant à Noël s’agit-il vraiment d’une fête religieuse?
Et c'est là ma deuxième remarque. Pour les chrétiens convaincus, certes. Mais pour le tout-venant? Je me souviens que le chanteur Jacques Brel, interrogé en période de Noël par un journaliste, constatait ce que déplorait déjà de nombreux responsables de paroisse: «Noël est une belle fête païenne». Un ami m’a même fait remarquer: «Les curés sont vraiment très forts; ils ont inséré une fête religieuse au milieu des fêtes de Noël!»
Il y a là une pierre jetée dans le jardin de la Commission qui qualifie de religieuse une tradition qui n’en a plus le caractère. Le nouveau maire de Lyon a commis la même erreur en refusant de participer cette année à la montée traditionnelle des échevins vers Notre Dame de Fourvière, en souvenir d’une peste arrêtée en 1643. Ici encore, un peu de culture historique permettrait aux responsables politiques de relativiser et de ne pas prendre à rebrousse-poil une tradition populaire qui n’a plus rien de religieux.
Contestation vaticane
Ma troisième remarque porte sur l’argument principal du cardinal Parolin qui a protesté au nom des racines culturelles de l’Europe, dont une des plus grosses est manifestement chrétienne, disent les historiens, les uns pour s’en réjouir, les autres pour le déplorer. Quoi qu’il en soit, nier sa propre histoire -pour l’Europe autant que pour sa famille, son entreprise ou pour soi-même- n’est à l’évidence pas intelligent. Car on accède à la liberté qu’en assumant ses antécédents, honteux ou glorieux. En ce sens, la démarche de l’Église de France à propos des abus sexuels commis par le clergé me semble un gage de liberté (même si j’ai un doute concernant «l’indépendance» de la Commission Sauvé, eut égard au traitement statistique des données et à la mise-en-scène de la remise du rapport, qui trahissent un biais idéologique évident. J’en dirait autant de toutes les prétentions scientistes qui se prétendent «objectives».)
Quant à prétendre que la neutralité consiste à gommer les références religieuses des uns et des autres, c’est cultiver non pas la tolérance mais l’ignorance.
Et cette igniôrance ne peut que favoriser les mouvements occultes et l’acrimonie envers la chose publique. Imaginer que supprimer un mot, un symbole ou un acte supposé religieux rétablit l’égalité sur une tabula rasa, c’est de la superstition.