Le 18 décembre prochain (si tout va bien), à Kourou en Guyane française, sera lancé dans l’espace stellaire, le nouveau télescope spatial (nommé James Webb), qui succédera au télescope Hubble. Cet événement -dont les scientifiques attendent beaucoup- me donne l’occasion d’épingler un gros livre (près de six-cents pages) qui vient de paraître Dieu, la science, les preuves. L’aube d’une révolution, écrit par le duo Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies.
J’abats immédiatement mes cartes. Contrairement aux auteurs, je pense que l’idée selon laquelle l’astrophysique la plus récente converge vers les croyances religieuses, me semble relever de la poésie, et non de la rigueur de la pensée. Le fait que le pourcentage d’athées parmi les prix Nobel de littérature s’élèverait à 35 %, contre 10 % seulement parmi les scientifiques (chiffre du début des année 2000) n’est qu’un «argument d’autorité», c’est dire que ce n’est pas un argument. Certes, est tout-à-fait respectable l’exclamation «C’est comme voir le visage de Dieu» proférée par l’astrophysicien George Fitzgerald Smoot qui, le premier, a photographié en 1962 la première lumière cosmique (quelques trois cent mille ans après l’origine supposée de notre univers). Mais, le sentiment religieux de ce scientifique ne témoigne que de son expérience singulière, et ne saurait constituer une preuve.
«Il semble en vérité que la science d’aujourd’hui ait réussi à se faire le témoin du “Fiat lux” initial» disait le pape Pie XII en 1951. Certainement pas ! s’insurgeait déjà l’abbé Georges Lemaître, professeur d’astrophysique à l’université catholique de Louvain. Ce chanoine avait, à partir des équations d’Einstein sur la relativité, constaté qu’en remontant le fil du temps, ces équations convergeaient vers une singularité initiale. Cette singularité mathématique fut qualifiée de Big-Bang par ses opposants qui y voyaient un Cheval de Troie de la religion pour investir le domaine scientifique.
L’infime probabilité qu’apparaisse la vie à partir de la matière inerte, la conscience à partir de la vie, n’en est pas moins un autre miroir aux alouettes, où s’est déjà laissé prendre avant-guerre Lecomte de Nouÿ. Les auteurs que j’épingle prétendent que, s’il y a eu un Big-Bang, c’est qu’il y avait avant lui quelque chose de plus fort encore, une intelligence suprême. C’est là une erreur de raisonnement. Imaginer qu’il faille une intelligence préalable aux lois de la nature (le Grand horloger de Voltaire, le Grand architecte de l’univers des francs-maçons, la vibration du vide quantique du bouddhiste Trinh Xuan Thuan, une information purement mathématique de Stephen Hawking…) c’est de l’anthropomorphisme, dans lequel n’était pas tombé Spinoza pour qui Dieu n’était pas autre chose que la nature.
La question demeure : ces lois sont-elles éternelles? Einstein le postulait. La fidélité de Dieu si chère aux traditions juives et chrétienne ne serait alors qu’une façon de parler du déterminisme scientifique: les mêmes causes, dans les mêmes circonstances, produisent toujours les mêmes effets. Le hasard n’est alors que le fruit de nos manques de connaissance. C’est ce que pensait Lamarck au début du XIXe siècle. La physique quantique des particules de grandeur infinitésimale s’inscrit en faux contre cette idée. Il existe à ce niveau-là un hasard fondamental. «Dieu ne joue pas aux dés!» protestait Einstein. «Mais qui êtes-vous pour dire à Dieu ce qu’il ne peut pas faire» répondait Niels Bohr.
Reste alors le problème du temps et de l’éternité. Si le temps apparaît -comme la matière, l’espace et l’énergie- avec le Big-Bang, essayer de remonter le temps avant le temps n’a plus de sens. Si, en revanche, il y avait une durée infinie avant le Big-Bang, l’univers n’aurait pas d’origine déterminable. Mais cette hypothèse ne trouble pas le croyant que je suis -et qui n’interdit pas à Dieu de créer depuis toute éternité.