Espace Maurice Zundel - Homélie pour une inauguration

«La jeune fille est assise dans son cellier où les fruits odorants achèvent de mûrir. Elle respire ces parfums de la terre en filant la laine de ses moutons. Elle regarde la campagne qui dévale sous ses yeux. Elle écoute profondément, comme elle en a pris l'habitude en raison du bec-de-lièvre qui lui fait préférer la solitude, la musique des bruits discrets et familiers. Et tout à coup, il lui semble "qu'une créature toute de lumière est venue de très loin nicher dans son cœur". Elle éprouvera souvent, désormais, la surprise de cette visite qui la comble au point qu'elle bénit son infirmité, sans laquelle elle n'aurait jamais entendu "cette voix qui résonne au-delà du silence". Elle n'a pas besoin de lui imposer un nom. Tout est donné dans ce dialogue sans discours qui l'explique à elle-même dans un monde transfiguré. Elle demeure ainsi, à ses heures de loisir, tout entière suspendue à cette présence dont elle respire l'adorable plénitude, en apprenant, à sa manière, que "la vérité n'est jamais là où l'on crie - et presque jamais là où l'on parle".» Mary Webb, The precious Bane (le précieux bannissement) cité par Maurice Zundel dans La liberté de la foi.

Qui une fois dans sa vie n’a fait cette expérience: Quelque chose nous rencontre, plus… Quelqu’un nous répond qui est là! Par la beauté d’un paysage ou d’une œuvre d’art, dans l’émerveillement qu’une découverte scientifique fait naître en nous, ou encore dans la joie qu’une relation heureuse nous donne d’expérimenter, nous avons l’intuition, le sentiment qu’une Présence aimante nous dépasse, nous englobe, nous étreint. Une Relation avant toutes les relations, qui fonde et habite toute relation et qui nous fait entrer dans un dialogue avec l’Invisible, dans un Je – Tu comme le disait le philosophe juif M. Buber.

Alors, une résonnance à nulle autre pareille transforme notre univers et nous donne une perception qualitativement autre de nous-mêmes, des autres, du monde. Ce n’est pas tant un contenu exceptionnel qu’une attitude nouvelle au monde qui nous est donnée.

Cette résonnance est inoubliable.

Quand elle advient, elle nous transforme radicalement. Cet Autre plus intérieur à nous-mêmes que nous-mêmes et plus élevé que les cimes de notre âme, cet Autre qui nous constitue et nous englobe fait sentir sa Présence. Cette Présence ne peut être assimilée. Elle n’est pas à notre disposition. Bien au contraire, c’est elle qui nous libérant de nous-même nous rend disponibles. Un Silence parlant ou une Parole silencieuse (IR19) a retenti et tout a changé.

N’est-ce pas de cette voix dont parle l’Évangile du jour, de cette voix du Bon berger à nulle autre pareille. Cette voix résonne en nous avec une telle douceur et une telle force, une telle intimité et un tel jaillissement que nous sentons la Présence agissante de Celui qui donne sa vie pour ses brebis:

N’est-ce pas cette voix qui a résonné au-delà du Silence et qui a expliqué à elle-même la jeune fille assise en son cellier qui, suspendue tout entière à cette Présence, a ainsi été redonnée pleinement à elle-même?

N’est-ce pas l’audition de cette Parole si souvent recouverte par les mille bruits du quotidien, si souvent rendue muette dans notre monde où tout va trop vite, tout est mis à portée de main, rendu immédiatement disponible et exploitable, que nous désirons?

N’est-ce pas ce timbre de voix que l’œuvre de Maurice Zundel fait entendre et que cet Espace aimerait, à travers son accueil et ses propositions rendre audible?

Lorsque résonne cette voix alors notre relation à nous-mêmes, aux autres, au monde reprend vie et sens. Nous se sommes plus aliénés mais retrouvons une sensibilité résonnante et raisonnante qui nous rend fondamentalement disponibles à la relation, à la vie, à l’amour.

Nous sommes alors rendus disponibles à la source d’eau vive…, au Ciel après lequel nous courrons et qui pourtant est en nous. Cela suppose pour qu’il apparaisse -et qu’il fasse alors jour même en pleine nuit de l’épreuve- , qu’une révolution ait eu lieu: celle de passer du moi préfabriqué au moi origine, au moi source comme dit Zundel. Celle de passer de l’individu qui se définit à partir de lui-même… à la personne qui se découvre appelée à l’Infini. Invitée à entrer dans la danse relationnelle, dans la danse trinitaire, nous y trouvons à la fois notre identité ultime et notre épanouissement joyeux. Par-delà nos conditionnements cosmologiques, biologiques, psychologiques et sociologiques nous voici introduits de plein pied dans le Royaume relationnel.

Cette révolution de l’individu à la personne, cette révolution qui fait passer de l’absurde au sens, du mutisme à la Parole, de la mort à la Vie suppose donc, pour qu’elle puisse s’accomplir, de passer du dehors au-dedans:

«Tard je t’ai aimée oh Beauté si ancienne et si nouvelle, je te cherchais dehors et tu étais dedans ».

Être libéré, de ses esclavages et de ses enfermements afin d’être libre pour bâtir le Royaume ici-bas, sur cette terre, en nous et dans la société… n’est-ce pas là une exigence inscrite au plus profond du cœur humain?

C’est à cela que voudrait contribuer, à la suite de Maurice Zundel, cet Espace qui lui est dédié. En lui devrait se déployer un style relationnel, une manière de s’écouter et de se parler, un mode de procéder qui permette à chacun, chacune de faire entendre sa propre voix, de suivre la voie qui est la sienne en résonnant à partir de la Source. Que ce soit par l’accueil, l’écoute, les conversations, l’accompagnement spirituel, les méditations, retraites, cours, expositions et j’en passe, n’est-ce pas toujours cela qui en définitive est visé: découvrir que le plus court chemin de soi à soi passe par l’autre!

Sans doute faut-il aussi, pour ce faire, que chacun, chacune trouve sa place, sa manière unique d’être là et d’œuvrer pour le bien commun, de former un corps, bref d’être en communion. Une manière unique d’être ensemble pour que l’Espace Maurice Zundel soit l’écrin d’une symphonie où chaque instrument s’accorde et donne sa note particulière pour une plénitude harmonieuse. Un lieu où chacun, chacune trouve refuge et nourriture. Un lieu où chacun, chacune soit le bon pasteur pour l’autre. Un lieu où chacun, chacune se rende attentif-ve à d’autres brebis, à celles qui ne sont pas de cet enclos, de cet Espace et qui pourtant écoutent elles aussi, la voix et suivent le sentier du Bon berger.

«La jeune fille et le vieil homme sont assis en cet Espace où des grains ont été jetés en terre. Ils respirent l’atmosphère citadine. Ils regardent le va et vient des gens pressés, des pendulaires affairés, des passants désœuvrés. Ils écoutent profondément la musique des bruits discrets et familiers. Et tout à coup, ils leur semblent "qu'une créature toute de lumière est venue de très loin nicher dans leur cœur". Ils éprouveront souvent, désormais, la surprise de cette visite qui les comblent au point qu’ils bénissent leur attente intérieure, sans laquelle ils n’auraient jamais entendu "cette voix qui résonne au-delà du silence ". Ils n’ont pas besoin de lui imposer un nom. Tout est donné dans ce dialogue sans discours qui les expliquent à eux-mêmes dans un monde transfiguré. Ils demeurent ainsi, à leurs heures de bénévolat, d’écoute, d’accompagnement, de méditation ou d’activités diverses, tout entiers suspendus à cette Présence dont ils respirent l'adorable plénitude, en apprenant, à leur manière, que "la vérité n'est jamais là où l'on crie - et presque jamais là où l'on parle". » Ils savent désormais que tout est don, que tout est grâce!

Amen.                                                           

 

À son propos:

Luc Ruedin SJ

Le Père Luc Ruedin sj est né en 1962 et a rejoint la Compagnie de Jésus en 1995. Il a travaillé comme aumônier d'hôpital et a été membre de la rédaction de la revue culturelle jésuite « choisir » . Le Père Ruedin donne des retraites spirituelles. Il est l'auteur de plusieurs livres sur des thèmes de spiritualité. Après avoir été socius et assistant du maître des novices à Nuremberg, il est responsable depuis 2020 à l'Espace œcuménique Maurice Zundel de l'Eglise catholique vaudoise situé sous la gare de Lausanne.

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