Un roman policier écrit par Agatha Christie s’intitule Le crime Halloween. Le célèbre détective belge Hercule Poirot s’affronte au crime perpétré sur une enfant qui avait eu le malheur de se vanter (à tort, car elle mentait) d’avoir assisté à un meurtre quelques années auparavant. Hercule Poirot démêle les fils de cette intrigue perpétrée dans le climat faussement macabre d’Halloween. Dans les pays anglo-saxons en effet (l’histoire se passe en Angleterre), la fête d’Halloween est l’occasion pour les enfants de s’amuser à se faire peur, en revêtant de draps de lits en guise de linceuls et pour évoquer une tête de mort de se couvrir la tête ou de porter au bout d’un bâton un masque en forme de citrouille ajourée. Ce costume est supposé incarner les esprits errants qui reviennent tourmenter les vivants ce jour-là. C’est du spiritisme à la sauce Dracula.
Le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, avait qualifié cette coutume de païenne. Il y voyait une singerie moqueuse de la fête chrétienne de la Toussaint le 1er novembre. En réalité Halloween s’appuie sur ce qui est célébré le lendemain 2 novembre, jour où les chrétiens prient pour leurs défunts et viennent embellir leurs tombes avant le repos de l’hiver. Dans le même esprit, au cours de son enquête, Hercule Poirot ne manque pas de s’élever sur un ton légèrement accusateur contre cette pratique païenne. Il fait remarquer que dans son pays (la Belgique), ce jour-là premier novembre, on ne s’amuse pas à faire des farces macabres qui n’amusent que les enfants, mais «on allume des bougies et on prie pour nos morts».
C’est l’ambiguïté d’Halloween, manifestation populaire venue d’Outre Atlantique, qui certainement m’a conduit à remarquer cette annonce dans la devanture d’une boutique de friperie: «Premier novembre, jour d’Halloween, spécial Nuit mystique». Associer la mystique au spiritisme pour enfants en mal d’excitations, c’est au mieux une bêtise, au pire une aberration. Pour la philosophe Simone Weil, la nuit mystique «C’est quand l’âme épuisée a cessé d’attendre Dieu, quand le malheur extérieur ou la sécheresse intérieure lui a fait croire que Dieu n’est pas une réalité, si néanmoins elle continue à aimer, si elle a horreur des biens qui prétendent le remplacer, c’est alors que Dieu après quelque temps vient jusqu’à elle, se montre, lui parle, la touche. C’est ce que saint Jean de la Croix appelle nuit obscure.» La philosophe avait déjà repéré cette expérience intime hors du christianisme, notamment chez les tragiques grecs, Eschyle et Sophocle.
Il va de soi que cette expérience mystique est tout le contraire des expériences spirites où l’esprit du défunt se manifeste d’une manière sensible aux vivants pour les conseiller, les consoler ou les menacer. Mais je pardonne ce non-sens au gérant de la boutique de friperie. Comme tout bon commerçant, il tente de surfer sur la vague de la mode pour attirer le chaland. Et je range le contre-sens de son invitation qui mélange Halloween et mystique dans le tiroir du Dolus bonus. Le Dolus bonus, comme disent les juristes spécialisés en droit commercial, ce sont ces petits mensonges, ces affirmations péremptoires sinon convaincantes, dont sont friands les bonimenteurs pour appâter le client.
