Buvette ‘culturelle’

Le 16 mai dernier, le Centre catholique des médias Cath-Info (cath.ch), à la suite du quotidien 24H, titrait: La chapelle de Renens pourrait devenir une buvette culturelle. Cette minuscule église construite au tout début du siècle dernier par l’Église libre du canton de Vaud, qui a servi longtemps au culte d’une communauté évangélique, avait été achetée en 1966 par la commune de Chavannes-près-Renens, lors de la complète rénovation du quartier. Il est vrai que le style de la chapelle (style 1900, qui rappelle vaguement le style roman) ‘jure’ sur fond des immeubles modernes qui l’entourent. La chapelle fut cependant conservée, puis, vingt-cinq ans plus tard, classée en note 2 par le service de recensement architectural du Canton de Vaud. La commune a lancé en mai dernier un ‘appel à projets’ pour l’exploitation de ce bâtiment.

J’épingle cette événement, non pas à cause de la transformation d’une chapelle en débit de boissons (je me suis expliqué dans un précédent blog sur le fait que les lieux de cultes n’étaient pas des espaces sacrés) mais sur la condition posée par la commune de Chavannes-près-Renens: pour concourir, les projets présentés «doivent intégrer une buvette, afin de faire de la chapelle un lieu de passage convivial».

La convivialité par la boisson, voilà qui répond à la fois à l’expérience quotidienne et à l’anthropologie la plus commune. Je ne parle pas des excès de boisson. Comme le dit la chanson à boire: «Il est des nô-ô-tres, il a bu son verre comme les au-au-tres»; à quoi les facétieux ajoutent: «C’est un ivro-o-gne, ça se voit rien qu’à sa tro-o-gne.» Je doute cependant que l’ivrognerie entraîne beaucoup de convivialité. Et, sauf à faire rentrer dans la culture n’importe quel ‘rapport-au-monde’ partagé dans un milieu de vie, il faudrait avoir une vision très extensive de la culture pour voir une dimension culturelle dans l’ivrognerie.

Je gage qu’une buvette n’est pas nécessairement une usine à produire des alcooliques, et je souscrits pleinement à l’idée d’associer lieu de convivialité et boisson. Certes, le chrétien que je suis pourrait se consoler en faisant remarquer que, dans le culte catholique, à la suite d’une formule utilisée par Jésus dans les Évangiles, le croyant est supposé ‘boire’ le sang du Christ. Et j’imagine que nombreux sont, parmi les fidèles protestants, celles et ceux qui ‘boivent’ les paroles de leur pasteur tellement la prédication est passionnante. Mais ces métaphores sentent trop la récupération facile et, finalement trop formelle, pour me satisfaire.

Je me contente de remarquer que la boisson dans un lieu agréable favorise le dialogue – qui est la plus humaine des activités car c’est l’archétype des relations sans violence. Et même dans le cas où, pour des raisons propres aux gens de passage (puisqu’il est question de ‘lieu de passage’) les soucis et les préoccupations personnelles leurs interdiraient un franc dialogue, le fait de s’arrêter pour boire aurait la même vertu que l’eau lourde dans les anciens réacteurs nucléaires, ou du recopiage à la main d’un texte: en ralentissant les réactions spontanées il favorise l’attention au moment présent et permet le recul nécessaire à l’intelligence de sa propre vie.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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