La maison Lassalle –centre de formation et de retraites spirituelles– a accueilli en août et pour la troisième fois en Suisse l'ECO Summer Camp, une semaine d'échange consacrée à la transformation socio-écologique à grande échelle et aux solutions individuelles à petite échelle. L'objectif? changer le monde! Mais comment y arriver? Entretien avec l’un des initiateurs du projet, Valerio Ciriello sj, à propos de la crise climatique, de la révolution et de ce qui peut concrètement changer la vie.
Sur quoi repose le concept fondamental de l'ECO Summer Camp?
Valerio Ciriello sj: «Il repose avant tout sur un constat: nous savons à quel point la situation écologique et sociale dans le monde est mauvaise ; nous sommes capables d'identifier très clairement ce que nous devons changer, mais nous ne le faisons pas suffisamment. Je ne parle pas seulement au niveau politique, mais de chaque individu à son propre niveau: nous partons en vacances en avion au bord de la Méditerranée, nous mangeons trop de viande, etc. À l'échelle personnelle, la plupart des habitants de cette planète ont encore beaucoup de mal à faire la révolution dont le monde a besoin. Seule, la connaissance ne suffit pas à provoquer de grands changements. Tel est le point de départ de l'ECO Summer Camp: chercher comment nous pouvons mettre en mouvement la transformation socio-écologique dont nous savons à quel point elle est nécessaire?»
Et quelles sont les pistes?
«Pour pouvoir nous impliquer activement, il faut que quelque chose d'autre que la raison soit touché en nous. L'impulsion en faveur d'un changement de comportement personnel doit prendre sa source au niveau relationnel. Lorsque les gens échangent, discutent, se confrontent, se disputent parfois aussi, lorsqu'ils s'inspirent des autres, recherchent un consensus, se mettent d'accord sur des sujets et se sentent responsables de les mettre en œuvre envers autrui, alors l'approche purement rationnelle devient une approche holistique du changement. Toute conversion, pour utiliser un terme évangélique, se réalise dans la rencontre d'égal à égal, sans mobiliser l'attention sur la paille dans l’œil de son voisin.»
Pourquoi le simple fait de comprendre un problème ne suffit-il souvent pas à induire un véritable changement?
«Parce qu'en tant qu'êtres humains, nous possédons des mains et un cœur en plus de notre tête, et il faut s'adresser aux trois niveaux pour que vraiment le changement opère. C'est la raison pour laquelle le pape François parle de développement humain intégral dans l'encyclique Laudato si'. Chacune et chacun d'entre nous sait quels comportements il lui faudrait arrêter ou modifier. Et pourtant, nous ne le faisons pas. La tête seule ne suffit pas, même pour nous les jésuites. Et il est impossible de forcer le changement dans le cœur des gens, que ce soit par le discernement, et encore moins par des directives ou des contraintes.»
Qu'est-ce qui nous freine?
«Un manque de confiance souvent, d'assurance par rapport à notre capacité à inverser la tendance. C'est valable pour les petites choses comme pour les grandes. Du point de vue religieux, nous avons perdu la foi et, permettez-moi d'ajouter, notre esprit est souvent très étroit. Mais Jésus nous encourage à avoir davantage de foi: ayez confiance, n'ayez pas peur. Ce sont les prérequis pour nous libérer de nos petites et grandes insécurités, afin de nous permettre de vivre et de croître en tant qu'êtres humains véritablement libres.»
Tel est le concept de base de l'ECO Summer Camp?
«Oui, il doit s'agir d'une semaine susceptible de changer la vie des participants. On pourrait la comparer aux Exercices spirituels durant lesquels nous libérons de l'espace en nous, avant d'observer ce qui se développe en nous et ce qui nous appelle. Nous souhaitons mettre ce processus à la portée des participants du Summer Camp.»
Comment cela se déroule-t-il ?
«Nous proposons des programmes de rencontre et d'échange très variés. Pour commencer, tous les intervenants restent sur place et passent au moins une nuit à la Lassalle-Haus, certains restent même toute la semaine. Ils ne se contentent pas de donner une conférence et de repartir immédiatement, ils restent disponibles pour échanger. Outre les conférences et ateliers habituels, nous organisons des randonnées, des excursions, différents formats de dîners et de cocktails, des tables rondes, des discussions autour d'un feu de camp et des suggestions de réflexion. L'objectif est de favoriser au maximum les rencontres et les échanges d'égal à égal, et ce dans les deux sens: experts et participants ont chacun quelque chose à dire et nous souhaitons créer un espace dédié à ce dialogue.
Ils peuvent ainsi s'inspirer mutuellement et tisser des liens, au lieu de réduire l'autre à ses seules connaissances.»
Qui participe au camp?
«L'édition de cette année a rassemblé une cinquantaine de participantes et participants au sein d'un groupe très hétérogène. Nous avons reçu des personnes de 16 pays et pas seulement des jeunes. Un quart des participant·e·s a plus de 35 ans et il y a aussi des retraités. Les chrétiens sont une minorité. Les profils politiques varient du bourgeois au progressiste. Chaque milieu, chaque projet de vie est le bienvenu et enrichit l'échange.»
Comment avez-vous eu cette idée de semaine dédié à la transformation socio-écologique?
«Le point de départ est ma motivation personnelle issue de mes convictions. Je suis membre du parti écologiste italien depuis l'âge de 18 ans, certes loin d'avoir acquis la même importance que celui des Verts en Allemagne. Je n'ai jamais été très militant. Mais ce qui a changé ma vie, ce sont les rencontres que j'ai faites durant mes études de théologie à Paris, en particulier avec Sœur Cécile Renouard et mon confrère Gaël Giraud sj. Ce sont ces personnes qui m'ont incitées à me pencher sur le thème de la transformation socio-écologique. J'ai compris que c'est la rencontre et la relation avec les autres peut changer l'individu et donc le monde, davantage que les concepts théoriques ou les combats idéologiques. Une grande part de nos comportements ne prennent pas racine dans le rationnel mais dans notre l'inconscient, y compris l'émotionnel.»
La transition socio-écologique est-elle une question émotionnelle?
«Non, pas pour ce qui est des faits. Mais si l'on veut vraiment qu'elle fonctionne, il faut intégrer les émotions. Dans notre société de plus en plus polarisée et fragmentée, nous n'avons pas besoin de plus de clivages, de luttes idéologiques, de division entre les bons et les méchants. Ce dont nous avons besoin pour une transformation réussie, c'est d'amour et de sagesse. Il faut vraiment avoir envie de rencontrer l'autre, de l'accepter, et non de le combattre.
La seule révolution capable de réussir sera celle de nos cœurs, pas celle de la rue!»
C'est une idée intéressante...
«Regardez les révolutions qui se sont basées uniquement sur la raison, sur l'analyse d'un problème et la définition d'un objectif, par exemple la révolution française ou la révolution léniniste en Russie. De telles révolutions, dans les rues de l'histoire, ne changent pas l'humain durablement. Un jour ou l'autre, elles finissent par dévorer leurs propres enfants. Ce ne sont pas les concepts qui changent le monde, et encore moins les idéologies, mais au bout du compte, c'est le chemin très personnel, et même spirituel, de chaque individu. À cela s'ajoute le fait que l'homme, en tant qu'être social et politique, doit, comme le disait déjà Aristote, rechercher la relation avec les autres afin de pouvoir développer pleinement le potentiel de son être propre. Et ce pour le bien de tous!»
Alors que pensez-vous de la révolution que tente actuellement la Dernière Génération?
«Nous pourrions en discuter longuement, mais pour être honnête, je suis assez sceptique. J'y vois plutôt une approche prohibitive qui impose des préceptes moraux. Une séparation nette entre le bien et le mal. Or, c'est exactement ce qu'est une idéologie en fin de compte, et les idéologies ferment les cœurs plus qu'elles ne les ouvrent. Nous souhaitons tout l'inverse à l'Eco Summer Camp: pas de radicalisation, pas de prohibitionnisme, pas de sermons moraux, pas de polarisation. Mais un changement de l'être humain dans son for intérieur et dans sa relation avec les autres. C'est là que réside l'espace nécessaire à la révolution. Cette citation de John F. Kennedy s'y prête bien: «That in the past, those who foolishly sought power by riding the back of the tiger ended up inside.» - «Par le passé, ceux qui cherchaient bêtement le pouvoir en chevauchant le dos du tigre ont fini à l'intérieur.»
Une semaine de Summer Camp, est-ce suffisant pour une révolution des cœurs telle que vous la décrivez?
«Non. Mais nous n'attendons pas non plus de "conversions de Saul" à foison, nous souhaitons plutôt planter le plus grand nombre possible de graines et les laisser pousser. En outre, nous travaillons également sur un format permanent afin de pérenniser le réseau créé par les Summer Camps et de favoriser d'autres échanges. Nous y intégrons également les groupes locaux, qui possèdent chacun leur propre dynamique.»
À la fin de la semaine, vous demandez à tous les participants de s’adressent une lettre à eux-mêmes avec les changements qu'ils ont l'intention de mettre en œuvre. Six mois après le camp, vous envoyez les lettres aux participants. Que contiendrait votre lettre pour injonction?
«Moins de paroles, plus d'actes. Et dans l'action, davantage de consistance et de cohérence avec son propre être.»
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Entretien réalisé par Gerd Henghub