Trouver les «bons» documents demande beaucoup de minutie et de temps. Pour aggraver les choses, il n’existe pas d’inventaires en ligne au Vatican. «C’est à moi qu’il revenait d’assembler les différents éléments de preuve comme les pièces d’un puzzle.»
Expert en écriture
Il faut déchiffrer les gribouillages manuscrits dans les dossiers, avoir une très bonne connaissance du latin, la langue de l’Église, mais aussi des langues modernes, notamment l’italien. Il faut non seulement de la persévérance et de la patience, mais aussi de la chance, admet M. Daufratshofer. «J’ai fait une incroyable découverte fortuite qui a été une véritable mine d’or: le "Fondo Hürth", le domaine privé du jésuite allemand Franz Hürth.»
Un illustre inconnu
«Je dois avouer qu’avant de commencer ma thèse de doctorat, je n’avais jamais entendu ce nom» note l’historien. Franz Hürth est né à Aix-la-Chapelle en 1880, a rejoint la Compagnie de Jésus et a suivi la formation classique d’un jésuite. Il devient maître de conférences en théologie morale au collège jésuite de Valkenburg, aux Pays-Bas, puis se rend à Rome comme professeur à l’université grégorienne en 1936. En même temps, il devient consultant auprès du Saint-Office, l’actuelle Congrégation pour la doctrine de la foi. Il y était chargé des affaires de censure de livres, mais aussi de la préparation de documents magistériels tels que les encycliques.
Une «germanocratie» jésuite au Vatican
A ce titre, Hürth a travaillé pour les papes Pie XI et Pie XII. On a voulu parfois croire que les papes ont écrit tous leurs textes eux-mêmes, parce qu’ils seraient les seuls à être inspirés par le Saint-Esprit, mais bien sûr, c’est loin d’être le cas, sourit le chercheur. Les autorités curiales, comme la Secrétairerie d’État, le Saint-Office ou d’autres congrégations travaillent pour le pape. Mais chose plus étonnante, Pie XI et Pie XII disposaient en outre d’un réseau informel de collaborateurs. Il s’agissait principalement de jésuites allemands qui n’avaient aucune fonction officielle dans la curie.
Eugenio Pacelli (Pie XII) connaissait ces pères pour avoir été nonce apostolique à Munich et Berlin. On pourrait donc même parler d’une «germanocratie jésuite» au Vatican. Aux côtés de son secrétaire privé Robert Leiber, du bibliste Augustin Bea et de l’éthicien social Gustav Gundlach, Franz Hürth fait également partie de ce cercle.
Plus papiste que le pape
Sous Pie XI, Hürth avait déjà été le rédacteur "fantôme" de l’encyclique sur le mariage Casti connubii, datant de 1930. Pie XI voulait que l’amour personnel entre les époux ait plus de poids dans l’enseignement du magistère. Mais Hürth rejeta rigoureusement cette proposition et exigea le maintien de la doctrine classique de la finalité du mariage, ancrée dans le code de droit canonique de 1917. Le but principal du mariage devait être uniquement la procréation et l’éducation d’une progéniture. Peu avant Noël 1930, une violente dispute éclata à ce sujet entre le pape et son écrivain fantôme au Palais apostolique. Et Hürth l’emporta sur Pie XI. Il était plus papiste que le pape!
Pour l’historien l’impact de ce conflit est énorme. Si le pape avait commencé à ancrer l’amour personnel dans la doctrine catholique du mariage dès 1930, peut-être qu’Humanae vitae de Paul VI n’aurait pas vu le jour. Selon lui, ce bétonnage d’une morale rigide du mariage et de la sexualité continue d’avoir des effets aujourd’hui.
Il conseille Pie XII sur l’eucharistie