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Dix ans de pontificat du premier pape jésuite - «François a recentré l'Église sur Jésus»

Il y a dix ans, le 13 mars 2013, Jorge Bergoglio était élu pape. Quel est le bilan de ses premiers 10 ans de pontificat? Le Père Andreas Batlogg sj a consacré deux ouvrages à François. Dans cet entretien, il aborde les points forts de ce pape, l'énorme résistance de l'Église à son égard et les faiblesses de son pontificat.

Père Batlogg, si vous deviez donner une note au pape pour ces dix dernières années, laquelle serait-elle?

Oh là, je ne permettrais pas de noter sont action, mais je considère globalement que son pontificat est une réussite jusqu'à présent, même s'il y a quelques réserves.

Pouvez-vous m'en dire davantage?

François est un pape réformateur. Il a apporté un vent de fraîcheur dans l'Église et a ouvert certains espaces. Cette Église en avait grandement besoin. François a remis à l'ordre du jour des débats qui n'avaient pu être menés sous ses prédécesseurs. En outre, il a mis fin au «cirque», comme il l'aurait dit lui-même: plus de mozzetta, plus de camauro en fourrure, plus de chaussures rouges. Il ne s'est pas installé au Palais apostolique et son attitude humble n'est pas une politique symbolique, mais un véritable changement de style par rapport à ses prédécesseurs.
François veut une papauté de proximité. C'est un missionnaire qui ouvre l'Église aux gens. Il est extrêmement impressionnant lors de rencontres personnelles. Il capte l'attention des personnes et possède une conscience aiguë de l'instant. Il a posé des jalons importants, notamment lorsqu'il a lavé les pieds de délinquants en prison, lorsqu'il s'est jeté au sol et a embrassé les pieds des opposants à la guerre civile au Soudan du Sud lors d'une rencontre pour la paix organisée au Vatican en avril 2019 ou lorsqu'il a demandé pardon aux représentants des populations indigènes du Canada. Mais ces exemples ne se résument pas à des gestes, ce sont des messages politiques.

Grâce au pape François, qui se tourne avec détermination et attention vers les marges de la société et du monde, l'Église s'est à nouveau tournée plus étroitement vers Jésus.

L'évaluez-vous aussi positivement sur le plan théologique?

Oui, même si beaucoup le sous-estiment dans ce domaine car il pare sa théologie de métaphores et de mots simples. Mais ses encycliques sont très fortes et il travaille sur les grands thèmes mondiaux: Evangelii gaudium représente le programme d'une Église missionnaire, qu'il poursuit depuis le début en faisant preuve d'une grande cohérence. Laudato Sí, publié quelques mois avant la Conférence de Paris sur le climat, a posé des jalons pour l'engagement de l'Église en ce qui concerne les questions écologiques. Fratelli Tutti est parue vraiment au bon message pendant la pandémie.
J'aimerais aussi citer son impulsion en faveur de l'Abrahamic Familiy House à Abu Dhabi: une église, une mosquée et une synagogue réunies sur le sol arabe, les trois religions mondiales ensemble pour la paix du monde, c'est formidable! François ne craint pas non plus le conflit: Amoris Laetitia est certainement l'exhortation papale la plus controversée depuis Humanae Vitae en 1968. Et en tant que non-Européen, il a tout à fait le droit de pointer du doigt les meurtrissures des Européens lorsqu'il se rend à Lampedusa ou à Lesbos.

Mais il y a un «mais?

En interne, François éprouve des difficultés. Il maîtrise beaucoup mieux les grandes thématiques que la politique de l'Église, ce que j'appelle parfois "les petits détails du catholicisme". Néanmoins, il a aussi posé des jalons dans ce domaine: par exemple, en limitant de nouveau très fortement l'ancien rite, que Benoît avait quant à lui largement encouragé, et ce malgré d'énormes résistances. Ou lorsqu'il a reproché à la curie ses 15 maladies, dont l'Alzheimer spirituel. Bravo!
Mais il ne fait aucun doute que François n'est pas à l'aise avec l'apparat. Cela englobe notamment les finances, l'imbroglio autour de l'ordre de Malte, ainsi que les conséquences structurelles des scandales des abus. En 2019 a eu lieu le sommet sur la protection des mineurs au Vatican, peu après lequel le pape a renforcé le droit canonique. Mais c'est la même impression qui subsiste: il ne se passe pas grand chose d'efficace. Aucune décision n'a été prise, notamment sous la forme d'une démission, comme l'a proposé le cardinal Woelki. S'il veut s'inscrire comme un pape réformateur, cela ne peut se traduire uniquement par une attitude, il faut que cela se concrétise par des structures. Selon moi, c'est à ce niveau que le bât blesse. Et je pense qu'il ne faut plus s'attendre à de grandes avancées dans ce domaine, il a quand même 86 ans.

Quelles sont les raisons des difficultés du pape en interne?

La cohabitation en blanc, concrètement impossible, l'a sans doute freiné. Il a dû faire face à une opposition constante au Vatican et dans ses annexes. La destitution de Georg Gänswein montre à quel point François se sentait entravé par cette situation. Cela illustre également la résistance considérable à laquelle le pape doit faire face au sein de l'Église. Cette résistance est sans nul doute plus importante que pour n'importe quel autre pape du XXe siècle. Elle explique en partie ses prises de position parfois impulsives. Il lui arrive régulièrement de sortir de ses gonds et, selon ses termes, de devoir «sortir les rames». Et c'est là qu'il devient alors incohérent et contradictoire.

Vous faites allusion à ses récentes remarques sur la voie synodale en Allemagne?

Oui, avec le processus synodal mondial, François a lui-même ouvert un nouvel espace et permis un processus qui n'était pas envisageable sous ses deux prédécesseurs. Le signal était clair: agissez! Puis il envoie des signaux comme la lettre aux évêques allemands à l'été 2019. Il ne s'est pas montré très diplomate. Il aurait mieux valu se demander comment le pape, en tant que figure symbolique, peut insuffler une dynamique positive à cette évolution.

Pourquoi les évêques réformateurs n'ont-ils pas simplement le courage, dirons-nous, d'ordonner prêtres des hommes mariés?

Parce que ce serait d’abord très risqué. Et parce que:

Les évêques n'ont pas l'habitude de décider eux-mêmes

Jusqu'à présent, Rome était seule aux commandes. Je souhaiterais pour ma part que les réformateurs, ainsi que le cardinal de Munich, qui siège dans des instances importantes du Vatican, tapent davantage du poing sur la table et affirment: nous ne voulons faire aucun mal! Nous travaillons sur des problèmes très concrets de l'Église. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'Église allemande a perdu une nette partie de son influence à Rome après le pontificat de Benoît.

Qu'est-ce qui se cache derrière ce conflit lié à la voie synodale?

Concrètement, c'est dû à la diversité politique considérable au sein de cette Église. Des univers s'affrontent: d'un côté, ceux qui continuent de considérer l'Église comme une monarchie, de l'autre, les réformateurs, majoritaires en Allemagne parmi les laïcs bien sûr, mais aussi parmi les évêques, et qui ont cependant des adversaires tenaces et influents qui adressent constamment à Rome leurs lettres de réclamation. François cherche fondamentalement à diriger et à équilibrer ces positionnements extrêmement divers grâce à la synodalité, et le concept de voie synodale s'avère plutôt concluant en Allemagne. Mais si la synodalité ne devait finalement consister qu'à écouter et non à participer aux décisions, le pape discréditerait son propre projet. En outre, une Église synodale a besoin de temps. Le problème, à mes yeux, c'est que nous ne disposons plus de ce temps, les gens seront tout simplement partis avant. Time is running out.

Comment peut-on gérer un éventail politique aussi large au sein de l'Église?

Il s'agit-là du principal défi pour ce pape, et certainement aussi pour son successeur: la vision très différente de l'Église qu'ont les conservateurs et les réformateurs, un développement à deux vitesses et une perception différente des thèmes selon les régions du monde. Mais il faut garder à l'esprit que

les thématiques soi-disant allemandes comme les femmes, la morale sexuelle et la laïcité sont également pertinentes dans le monde entier, mais revêtent une intensité différente.

Je me demande pourquoi le pape ne réalise pas cela et pourquoi il diffame de la sorte la compétence des évêques réunis par la voie synodale.

Parce qu'il l'appelle le « projet d'une élite » ?

Ce que je n'apprécie pas trop chez François, mais c'est peut-être le revers de la médaille de son caractère authentique, modeste et spontané, c'est qu'il parle parfois de manière très désinvolte des choses importantes. Il ne comprend pas que ses déclarations puissent être problématiques, notamment lorsqu'il justifie la fessée ou conseille aux Catholiques de ne pas se reproduire comme des lapins. Peut-être est-ce son caractère latin qui ressort. Mais la conséquence, c'est qu'il est sous-estimé sur le plan théologique. Cela pourrait aussi expliquer son attitude contre l'apparat, la curie, les structures et les contraintes dans lesquelles il évolue.

Que peut-on attendre du prochain conclave?

Il s'annonce passionnant. Seuls dix des cardinaux ont été nommés par Jean-Paul, près de 70% par François lui-même. Avec ses nominations, il a clairement montré qu'il souhaitait une Église encore plus globale, moins européenne ou même italienne; même si, à mon avis, certaines d'entre elles étaient discutables. Le fait est que les cardinaux du prochain conclave se connaissent peu. Il sera donc intéressant de découvrir sur quel nouveau pape, et ainsi sur quelle orientation ils se mettront d'accord.

De quel type de pape l'Église a-t-elle besoin selon vous?

Un pape qui continue à guider l'Église sur le chemin de François:

Une Église loin du principe monarchique, loin du cléricalisme, que l'on ne retrouve pas seulement au Vatican, mais aussi parmi les évêques et les simples curés.

Les prêtres ne doivent pas décider unilatéralement de tout dans l'Église!  Mon plus grand souhait est que ce processus synodal, qui a apporté un tel vent de fraîcheur, soit pérennisé. Même au sein des structures dans lesquelles François a échoué jusqu'à présent. Ainsi, le succès de ce pontificat ne se manifestera peut-être que dans le prochain. Car aucun changement n'est possible sans un changement des structures. Et je pense également qu'après François l'impulsif et le missionnaire, il nous faudrait surtout un bon «manager».

François va-t-il démissionner comme son prédécesseur?

C'est possible. Mais pas à cause de son genou, ni parce qu'il doit se déplacer en fauteuil roulant. Cela ne serait pas une raison pour lui, tant qu'il est en forme dans sa tête. En revanche, s'il réalise qu'il décline, il démissionnera et ne restera sûrement pas en habit blanc au Vatican comme son prédécesseur. Mais je lui souhaite encore quelques années; cette année et l'année prochaine s'annoncent passionnantes en raison des synodes mondiaux des évêques. Lors du synode sur l'Amazonie, deux tiers des évêques se sont prononcés en faveur de l'ouverture du célibat. Je pense que François devrait se montrer plus courageux sur cette question, car pour assurer la relève des prêtres, les prières ne seront pas suffisantes.

Interview: Gerd Henghuber 


A l'agenda

Discussion à Munich sur 10 ans de pape François - qu'avons-nous encore à attendre?
L'association Freunde der Gesellschaft Jesu e.V. organise le 15 mars à 19h30 à l'Eglise Saint-Michel de Munich, une table ronde publique à l'occasion du dixième anniversaire de l'élection de Jorge Bergoglio comme pape le 13 mars 2013. Jusqu'à présent, le pontificat du premier pontife jésuite a été synonyme d'espoirs pour de nombreuses personnes, mais aussi de déceptions pour certains.
Après dix ans, le pape François est pour les uns un réformateur, pour les autres un échec. Les journalistes Christiane Florin (Deutschlandfunk) et Jürgen Erbacher (ZDF) en discuteront avec le Père Andreas Batlogg sj et le Père Martin Stark sj. Les inscriptions à cette manifestation sont possibles auprès de Birgit Bidell, tél.: +49 89 38185 223, e-mail: freundeskreis@jesuiten.org

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