Benoît XVI, un penseur d’importance

J’ai été surpris par les échos médiatiques lors du décès du pape Benoît XVI. On l’a présenté comme un esprit conservateur, et on a souligné sa timidité face aux abus sexuels dans l’Église. Il y a certainement du vrai dans ces remarques, mais il serait regrettable de passer à côté des remarquables apports d’un des théologiens les plus intelligents de son temps.

Hans Küng et Karl Rahner qui le connaissaient bien disaient de lui: «Il est si intelligent qu’il pourrait nous faire croire n’importe quoi». Il fut d’ailleurs pris tout jeune comme expert du Concile Vatican II, en conseillant les plus importants cardinaux allemands. Son intervention pour le rejet les décrets préparatoires du Concile fut décisif dans la réorientation du Concile. En tout cas, il fut vraiment novateur sur ce point et dans la suite des travaux de l’assemblée.

C’est à la suite des mouvements étudiants de 1968 qu’il montra son côté prudent. Professeur dans la célèbre université de Tubingen, il arrêta les cours, à la différence de Hans Küng qui, lui, faisait face avec vigueur et intrépidité à des meneurs dont l’insolence cachait mal l’ignorance. Ratzinger n’était pas l’homme du débat public, comme toujours, il se remit à l’étude. Son œuvre reflète une énorme somme de travail marquée par l’érudition et la finesse. On ne peut pas faire de lui un homme de l’obscurantisme, son tempérament le poussait vers le conservatisme, mais il a lutté avec passion pour maintenir la place de la raison en théologie. Et la raison a toujours quelque chose de critique.

Ce n’était pas un adversaire des Lumières, il en savait les mérites, mais il était sensible aux étroitesses de la rationalité scientifique. La méthode expérimentale est évidemment indispensable dans les sciences techniques mais elle ne recouvre pas, et de loin, le champ de la réalité humaine. Elle ne parvient pas, d’ailleurs, à fonder sa propre rationalité, c’est-à-dire le sens. Mais son indéniable réussite technologique et économique a contribué à discréditer la réflexion philosophique et religieuse au détriment d’une culture pleinement humaine.

Il faut bien avouer que, pour sa part, la théologie magistérielle n’a pas osé répondre aux défis que la physique et la biologie moderne lui posaient. Il y avait là pourtant de belles ouvertures qui s’ouvraient. Ce manque de courage fait que la morale chrétienne s’est dégradée en un simple humanisme sentimental d’un côté et un autoritarisme clérical de l’autre. Le professeur Ratzinger rappelait que l’évangile de Jean appelait le Christ Logos, c’est- à-dire, la raison. Et que cette intelligence discernante est indispensable pour séparer le bien du mal, le bon du mauvais. Il l’avait vu dans l’Allemagne nazie, dans le communisme soviétique, dans les distorsions de l’économie moderne, dans la destruction de l’écologie terrestre. Il a discerné, en Occident, un dévoiement du libéralisme et de la démocratie qui abandonnent le cours de l’histoire à la facticité. Dans l’Église également.

Benoît XVI aimait beaucoup Alexis de Tocqueville. Il acceptait son jugement sur la réussite de la Révolution américaine par rapport à la Révolution française. La première avait gardé une plus grande solidité de principes, grâce à ses fondements théologiques, une dimension que la laïcité française a perdue. C’est un aspect de sa pensée qui a manifestement échappé à nos commentateurs.

 

Cet article de Jean-Blaise Fellay sj a initiatlement paru sur le site du journal Le Temps, sous la rubrique Opinion, le 5 janvier dernier.

Auteur:

Né en 1941, entré chez les jésuites en 1961, spécialiste de l’Histoire de l’Église, était engagé comme directeur spirituel au Séminaire diocésain du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et au Séminaire diocésain de Sion. Le Père Fellay a été rédacteur en chef de la revue culturelle choisir, directeur du centre interdiocésain à Fribourg, professeur à l'Institut Philanthropos et responsable du programme de formation du domaine de Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne.

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