Coup d'épingle d'Étienne Perrot sj du 10 avril 2021
La mort (à 99 ans) du prince Philip, l’époux de la reine d’Angleterre, dont il porte le nom, a libéré, dans toutes les rédactions du monde entier, un flot de rétrospectives et de commentaires. Les «veaux froids», ces articles pré-rédigés et cent fois digérés en vue d’un événement inéluctable (la mort) concernant une personnalité marquante, ces textes écrits de longue date et conservés précieusement dans les salles de rédaction, disent tous, aujourd’hui, la même chose. Cet ancien héritier présomptif du trône de Grèce, issu d’une lignée qui se perd entre la Russie des Tsars, l’Allemagne des chanceliers et les rois de Grèce, était surtout connu des médias par son humour froid, ses jeux de mots douteux, ses gaffes calculées, sa rigueur morale qu’il tenta vainement d’imposer à ses enfants, et surtout sa tendre fidélité envers son épouse la reine Élisabeth II d’Angleterre. «Il est mon plus fidèle soutien», disait celle-ci.
J’épingle pour deux raisons cet événement mondain triste bien qu’attendu. La première est qu’il nous fait échapper durant un instant à l’atmosphère de plus en plus oppressante de la pandémie. Certes, si j’en crois les marchés financiers, le bout du tunnel est en vue –c’est du moins le pari que font les gérants de fonds spéculatifs et les boursicoteurs. Mais il n’empêche que l’Europe (ou, devrais-je dire, la bureaucratie européenne) semble, pour quelques semaines encore, s’être embourbée dans la lutte contre le virus. La Suisse, située géographiquement au cœur de l’Europe, n’a pu échapper totalement à la morosité ambiante.
La seconde raison d’évoquer la mort du prince consort est qu’elle me permet d’évoquer la formule de mauvais goût utilisée hier par Le Temps comme titre d’un éditorial: «Adieu au prince Philip, cette répétition générale». La première phrase de l’éditorial enfonce le clou: «Le décès du duc d’Édimbourg préfigure celui de la reine Élisabeth II.» Comme si la mort d’un personnage –fut-il public– n’avait de sens que pour servir de brouillon à la mort prévisible de son conjoint de plus haute stature protocolaire. Certes, comme le disait un humoriste, la vie humaine est la seule maladie sexuellement transmissible, mortelle à 100 %; il n’empêche que, n’en déplaise aux existentialistes d’après-guerre qui définissaient l’être humain comme un «être pour la mort», cela me chagrine, en ces jours où les chrétiens fêtent la résurrection du Christ, de ne présenter la mort du prince Philip que comme la préfiguration d’une autre mort; et qui plus est, dans ce même éditorial du Temps, sur fond de la dégénérescence de l’Occident.
Notre image: «Sa Majesté la Reine et Son Altesse Royale le Prince Philip visitent le Titanic de Belfast le jour historique où elle a serré la main de Martin McGuinness, le 27 juin 2012» ©Flick/Titanic Belfast/Attribution 2.0 Générique (CC BY 2.0)