• Le temple de La Chaux-du-milieu, dans le canton de Neuchâtel © DR

Cérémonies laïques dans les temples neuchâtelois

Faut-il interdire l’usage des temples pour des cérémonies laïques de mariage, de funérailles ou encore, pourquoi pas, de «baptêmes dits républicains» (comme il est prévu par la loi, en France; une cérémonie célébrée dans les mairies par Monsieur le maire)? C’est non! vient de répondre (à une courte majorité) le Synode de l’Église réformée du canton de Neuchâtel. «L’Église n’a pas vocation à faire office d’open bar» rapporte à ce propos le journal Le Temps début février 2023. Acte de courage prétendent les uns, de fermeture rétorquent les autres. Les sensibilités religieuses s’affrontent ici autour des deux pôles qui structurent encore le vivre-ensemble politico-religieux.

Sur le plan du droit, j’imagine que, pour pouvoir prendre une telle décision, l’Église réformée du canton de Neuchâtel doit jouir d’une position similaire à celle des Église en France qui, pour leurs bâtiments cultuels construits avant la loi de séparation de 1905, ne sont plus propriétaires, mais ‘affectataires’. Ces églises et temples ‘affectés’ au culte, désormais propriétés de la commune ou du département selon les cas, ne sont cependant pas à la disposition des municipalités ou des conseils communaux et généraux. L’autorisation du ministre du culte (pasteur, curé ou évêque selon les cas) est donc nécessaire pour toute mise à disposition (concerts ou cérémonies laïques). Il n’en irait pas de même si le bâtiment, propriété publique, était loué, ou prêté, pour des liturgies religieuses particulières, à la manière d’une salle polyvalente.

En fait, le vrai problème n’est pas juridique, mais symbolique. Réserver les temples aux usages expressément religieux conforte les fidèles dans leur pratique. Le bâtiment leur rappelle peut-être la foi de leur enfance, ou celle de leurs aïeux qui sont venu priés dans ce lieux. Ce sentiment est très respectable, mais ne correspond pas à la théologie chrétienne. Nonobstant le vocabulaire qui évoque couramment les vases sacrés, la musique sacrée, voire les ‘sciences sacrées’ (sic), les temples, pas plus que les églises, ne sont des édifices sacrés dont l’usage serait exclusivement réservé à la liturgie religieuse. Je rappelle ici la multiplication des lieux de culte reconnus ‘désaffectés’ par leurs responsables religieux. Cette ‘désacralisation’ est l’une des caractéristiques originales ouvertes par le Nouveau Testament par rapport à la plupart des traditions religieuses qui –nous disent les ethnologues– reposent sur l’expérience du sacré.

Certes, il est habituel de parler de ‘profanation’ lorsque ces bâtiments, temples ou églises, sont investis par des hordes violentes qui, à la manière de tous les terroristes, veulent faire disparaître violemment ce qu’ils ne comprennent pas. Ce n’est d’ailleurs pas la situation évoquée par l’Église neuchâteloise. En fait, la profanation, quand on en parle, n’a pas plus de statut juridique que le blasphème qui n’existe pas dans notre droit. À la marge, je nuance: sans utiliser ces mots, profanation ou blasphème, le fait juridique apparaît çà et là dans certaines législations laïques sous le couvert du caractère intouchable (c’est le propre du sacré) du Président de la République ou du drapeau national. L’insulte envers ces entités ‘séparées’ (pour ne pas dire sacrées) est sanctionnée d’une manière spécifique. Plus largement encore, l’égale respect dû à chacun quelles que soient ses convictions n’implique pas la relativité des valeurs ‘sacrées’? de la République, dont la propriété privée, explicitement qualifiée de ‘sacrée’ par l’article 17 de la Déclaration de 1789.

Voici quelques décennies, un scandale avait éclaté en France lorsque qu’un journaliste du magazine Paris-Match avait découvert –photos à l’appui– qu’une église de Touraine servait régulièrement de cadre à des mariages de japonais. À la manière du Synode de l’Église réformée du canton de Neuchâtel –et pour les mêmes raisons– l’évêque de Tour y avait mis le holà.

Je pense que cette position de principe devrait être nuancée. La première question à se poser est: quel sens peut avoir, pour les familles demanderesses, le choix de ce lieu d’Église? Car dans la mesure où l’Église n’est pas là pour offrir des cadres agréables et pas chers à des cérémonies laïques, elle doit conserver la raison d’être de sa mission et pouvoir rappeler –ne serait-ce que par un mot d’accueil d’un représentant de l’Église– que le mariage lorsque mariage il y a, ou les funérailles lorsque c’est le cas, ne s’identifient pas à la beauté du lieu de la célébration, mais qu’ils sont ouverts à une transcendance, fut-elle laïque.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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