• Vue aérienne de Buckingham Palace lors des célébrations officielles du 90e anniversaire de la reine Elizabeth II en 2016 © Wikimedia Commons/MoD Crown Copyright 2016

Vive la reine – God save the Queen (2)

À lire mon précédent blog, certains Internautes m’ont accusé de transformer la reine Elizabeth II en potiche. Une potiche couteuse quoiqu’agréable à contempler. Une potiche qui a su se garder des frasques qui ont marqué la vie de plusieurs membres de sa famille parmi ses ascendants comme parmi ses descendants. Une potiche qui a soigneusement évité de ternir l’image passablement cabossée de la royauté britannique. Une potiche qui a polarisé les médias depuis l’époque, au début des années cinquante, où elle est montée sur le trône du Royaume-Uni.

J’avais huit ans en 1952; et je me souviens encore d’avoir regardé avec une certaine stupéfaction les «actualités cinématographiques» du moment, comme on disait à l’époque. Actualités cinématographiques en noir et blancs, qui semblaient être tirés d’Orphée, le film de Jean Cocteau paru deux années auparavant. Toute cette mise en scène, comme celle de ces jours-ci où l’on célèbre dans la joie le jubilé des septante ans de règne, me donnait l’illusion d’un conte de fée.

Mais un conte de fée a pour but de distraire les enfants, les entraînant dans un monde imaginaire sans arête ni problème métaphysique, sans dilemme insoluble, où tout semble descendre du ciel, y compris l’harmonie des familles et de la société. Il n’en alla pas ainsi durant les septante années de règne d’Elizabeth II. Et c’est là, sur le terrain de sa fonction symbolique, qu’elle montre son sens politique.

Je ne nie pas l’attirance qu’elle exerce sur les médias spécialisés dans les «people» (pardon, certains des magazines français écrivent pipoles – sic). Mais je laisse à d’autre les commentaires savants sur la couleur de ses chapeaux, ou sur son parachutage aussi fictif que spectaculaire sur la foule, sous la protection de Daniel Craig (alias James Bond) lors de l’inauguration des Jeux olympiques de Londres.

Je ne me fais pas d’illusion. Je n’imagine pas que la relation toute protocolaire entre le chef d’État Elizabeth et les divers Premiers ministres (chefs du gouvernement) que la reine Elizabeth a pu croiser durant ses septante ans de règne, ait influencé en quoi que ce soit la politique du Royaume-Uni. Je suis même prêt à parier mes vieilles sandales (une relique !) que les entretiens réputés hebdomadaires entre la reine et «son» premier ministre portaient, au mieux, sur des questions de représentations publiques. Sa rencontre en tant que cheffe de l’Église anglicane avec le pape à Édimbourg ne faisant pas exception.

Je veux parler de la dignité avec laquelle elle a tenu ferme dans les moments nombreux où la royauté se trouvait malmenée par des scandales ou des drames. Je pense, en particulier, à l’épisode tragique de la mort de la première épouse de son fils Charles, Lady Diana. Or cette dignité est un ingrédient essentiel de sa fonction politique. Car le symbole de la souveraineté, comme la femme de César, ne doit prêter à aucune suspicion. Ni par ses actes, bien-sûr, pas même par son apparence. Cette transcendance politique est aussi nécessaire que la transcendance de la volonté générale dans la vie démocratique. Ce genre de transcendance – qui ne demeure pas dans un surplomb extérieur à la nation –n’est que la personnification d’une unité nationale, toujours à tisser. J’ajoute que cette cheffe d’État sans pouvoir politique symbolise à mes yeux la transcendance de ces lois implicites («naturelles » pourrait-on dire si ce qualificatif n’était pas piégé), règles de conduite qui ne sont formalisées dans aucun texte constitutionnel, mais qui vont sans dire chez les Britanniques, car ils forment le socle culturel du vivre-ensemble dans les Régimes de Commun-Law.

Déposée près du prince Charles le 10 mai dernier lors du discours du trône, la couronne royale compte à mes yeux, du point de vue du symbole politique, beaucoup plus que la suggestion du Daily Mail qui «croit savoir» (sic) que c’est «avec regret» et «à la dernière minute» que la reine s’est résolue à ne pas ouvrir elle-même la nouvelle session parlementaire. En m’inspirant de l’analyse très fine de l’historien allemand Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi (le corps qui peut mourir et le corps qui est éternel car il représente la souveraineté qui, elle, jamais ne s’éteint) la couronne présente de la souveraine absente en dit plus long que l’information propagée par le même journal: «la reine a suivi le discours du trône à la télévision depuis le château de Windsor». Cette information –si elle est vraie– qui souligne l’absence, bientôt la mort, de la souveraine, pèse infiniment moins à mes yeux que la couronne royale qui symbolise outre-Manche la pérennité de la nation britannique.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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