• Elizabeth II à Berlin en 2015, à l'âge de 89 ans @ Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/PolizeiBerlin

Vive la reine – God save the Queen (1)

Septante ans de règne de la reine Elizabeth II ! De quoi impressionner les amoureux des chiffres ronds, les afficionados des chiffres symboliques (« septante en fait le compte», dit le psalmiste en évoquant les années de la vie humaine), sans parler des nostalgiques des têtes couronnées et des royalistes français –du moins ceux qui ignorent le vide du pouvoir de la souveraine. À toute cette cohorte se joignent les authentiques Républicains comme moi, curieux ou amusés d’un système qu’il ne leur viendrait pas à l’esprit de souhaiter installer dans la Confédération helvétique.

Mais procédons par ordre. Aujourd’hui, je prends le parti de ceux qui considèrent les célébrations du jubilé de la reine Elizabeth en ce mois de juin 2022 comme un «non-événement», ou qui considèrent ces dépenses ostentatoire comme une sorte d’insulte aux Britanniques qui subissent la dégradation de leur niveau de vie, ou la honte de voir leur pays perdre des places dans la hiérarchie des puissances mondiales. En revanche, dans mon prochain Blog, je défendrai les raisons de jubiler avec la majorité du peuple anglais, en constatant combien la reine d’Angleterre a su tenir son rang, et sauvegarder au mieux l’image que le peuple attend d’une souveraine.

Le mardi 10 mai dernier, le traditionnel «discours du trône» adressé au Parlement de Westminster fut prononcé par le fils d’Elizabeth, le prince Charles (entouré de son épouse Camilla et de son fils aîné William). Retenue par une fatigue due à son âge de nonante six ans et d’un évident besoin de repos en vue des fêtes du jubilé, la reine n’était présente que symboliquement, par la couronne royale déposée sur un coussin sur un tabouret un peu devant, à droite du prince. Il est vrai que cette couronne pesant quelques deux kilogrammes, lourde à porter, n’honorait plus la tête de la souveraine depuis plusieurs années. Lors du discours du trône de 2017, un an après le vote décidant le Brexit, Elizabeth II avait arboré un chapeau bleu parsemé de quelques fleurs jaunes, ce qui avait suffi à enflammer l’imagination de prophètes autoproclamés qui y ont vu le signe indubitable du penchant de la reine pour l’Union européenne.

Toute cette pompe n’a pas suffi à masquer le vide du discours de mai dernier –toujours écrit par le premier ministre, aujourd’hui Boris Johnson. On ne rencontre ce tissu de banalités pieuses que dans la bouche de curés qui croient œuvrer pour la justice en proférant des mots, des mots, des mots… ou dans les discours à vocation électorale des politiciens et des politiciennes les plus extrémistes. Par le haut-parleur du Prince, le premier ministre a promis de «faire croître et de renforcer l’économie ainsi que d’aider les familles confrontées à la crise du coût de la vie». Ceux qui, comme en France, souffrent de l’accélération de l’inflation ne se sont pas sentis pleinement rassurés, au moment où «deux millions de Britanniques, soit un adulte sur sept, sont restés, pour des raisons financières, une journée sans manger au cours du dernier mois».

Comme le rappelle un chroniqueur, Boris Johnson a également envisagé d’abroger l’Human Rights Act datant de 1998 (qui incorpore la Convention européenne des droits humains dans le droit britannique), ce qui fait craindre aux ONG une dégradation outre-Manche de la protection des droits fondamentaux.

On ne s’étonnera pas que le responsable parlementaire du parti d’opposition ait trouvé le dernier «discours de la reine» dénué d’idées et de but, que la liste de propositions évoquées manque de principes directeurs, et qu’ils ne sont pas une feuille de route pour la réalisation de vrais projets. Il est banal de constater que, outre-Manche comme partout ailleurs, ne font pas une politique des subventions dispersées au coup par coup, ni les modifications marginales de la réglementation.

À vrai dire, nul ne peut imputer à la reine Elizabeth les défauts trop visibles de la pratique gouvernementale outre-Manche. Car les institutions politiques britanniques sont un reflet du principe énoncé par Jan Zamoyski, Grand chancelier de la République des deux nations (Pologne et Lituanie, 1569-1795): «Król panuje, nie rządzi» (le roi règne, il ne gouverne pas). Le gouvernement britannique est issu du Parlement, le premier ministre est le chef du parti majoritaire, responsable non pas devant tout le Parlement (dont une partie, la Chambre des Lords, n’est pas élue), mais devant la seule Chambre élue, celle des communes. Les juristes qualifient le système politique britannique de monarchie parlementaire. Mais, dans les faits et selon la coutume qui se substitue à la Constitution, le monarque est un chef de l’État sans pouvoir. Le Premier ministre, chef du gouvernement, dirige le pays. Elizabeth II règne mais ne gouverne pas.

Bien qu’elle s’entretienne (souvent par téléphone) une fois par semaine, dit-on, avec le Premier ministre, la reine n’a aucun pouvoir réel. Elle ne peut que mettre son sceau sur les lois qu’elle promulgue –et que, de fait, étant donné la coutume, elle ne peut refuser de promulguer. Cette «sanction royale» ressemble à un tampon officiel placé au bas d’un acte administratif, dont un humoriste a pu dire: «Le tampon règne mais ne gouverne pas.» Cette sanction royale permet la fiction juridique de gouverner «au nom de la reine».

Alors, les fêtes du jubilé programmées du 2 au 5 juin, ne sont-elles qu’une fête foraine payée par le contribuable, à la manière des subsides indispensables –et, pour certains, dispendieuses– pour mettre en scène la fonction royale? Pas tout à fait, comme j’essaierai de le montrer dans mon prochain blog... (à suivre)

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×