Le 25 janvier 2025 dernier, la Haute école de théologie protestante (HET-PRO à Saint-Légier, dans le canton de Vaud) fêtait son centenaire. Après avoir été reconnue par l’European Council for Theological Education (ECTE), elle espère de la Confédération son accréditation en tant que Haute école spécialisée. Début avril, l’école de théologie a annoncé le renouvellement pour cinq ans de son accréditation par l’ECTE. Certains s’en sont émus, car elle est soupçonnée d’être un lieu de ‘radicalisation’, très éloigné de la posture académique qui sied à une institution universitaire. La HET-PRO fut notamment accusée de fondamentalisme par un professeur honoraire de l’Université de Lausanne. Une diatribe s’en était suivie. Les uns campent sur le soubassement scientifique nécessaire à toute professionnalisation, allant même parfois jusqu’à douter de la compatibilité entre approche ‘professante’ ou même professionnalisante, et la méthodologie académique. Le terme de ‘sectarisme’ a été prononcé. Les autres soulignent que la conviction personnelle – fut elle croyante – n’interdit en rien une approche rationnelle des soubassements de la foi. L’inverse étant également vrai, l’approche rationnelle n’interdisant pas les convictions personnelles.
Derrière cette diatribe, je vois la crainte des Églises historiques devant la montée en puissance des Églises d’inspiration évangélique. Les nombres comparés des étudiant(e)s en sont un indice. Mais le problème central n’est pas là. Il est à la fois politique et scientifique. Politique, car l’Autorité publique peut-elle accorder sa caution à l’expression institutionnelle de convictions personnelles qui ne relèvent que de l’idiosyncrasie de chacun? En stricte laïcité, la réponse est évidemment négative, bien que très nombreux sont par le monde, et en Suisse même, les exemples contraires – ne serait-ce qu’à travers les statuts favorables accordées aux religions reconnues.
Mais la question la plus intéressante reste certainement scientifique. La théologie, remarquait Louis Althusser avec raison, est une science qui n’a pas d’objet. Car Dieu n’est pas objectivable ; il ne se révèle que dans l’expérience singulière du croyant. Et à ce titre, les facultés de théologie ayant pignon sur rue reposent, scientifiquement, sur des fondements inexistants. Il ne leur reste plus qu’à se rabattre sur ce qu’un euphémisme nomme les sciences religieuses qui ne sont que des sciences humaines (psychologie, sociologie, linguistique, économie, histoire) appliquées à un domaine (la religion) qu’elles ont d’ailleurs du mal à circonscrire tellement la notion de religion est polysémique. Il n’est pas besoin de faire remarquer que le contour de la religion varie, notamment au gré des diverses écoles anthropologiques et sociologiques.
Il reste bien sûr possible de pratiquer une exégèse rigoureuse des textes bibliques sans être croyant, mais non pas sans postulats particuliers partagés par une communauté scientifique. La lecture historico-critique de l’Écriture ne soulève de ce point de vue aucune réticence, mais elle ne rend pas compte de ce que reflète tant du point de vue anthropologique que théologique les approches divergentes que sont les approches rhétoriques, symboliques, kabbalistiques, littérales, allégoriques, tropologiques, ou anagogiques. D’autant plus que les sociétés humaines, dont ces textes ‘sacrés’ (les chrétiens diraient ‘canoniques’) gardent la trace, étaient portées par des convictions particulières que la culture d’aujourd’hui qualifient de superstition, mais que le scientifique aurait tort de ne pas les considérer comme des motivations, en leurs temps prégnantes pour des acteurs de leur Histoire. C’est toute la différence entre les sciences humaines et les sciences dures. L’objet des sciences humaines porte sur les significations que chacun donne à ce qu’il vit. Ce sont ces significations qui font l’objet de la recherche du théologien, sans que celui-ci n’accède à la motivation singulière du croyant.
Reste que les étudiante(e)s en théologie qui suivent des parcours universitaires sont loin de sacrifier tous à la philosophie rationaliste qui préside nécessairement au développement des sciences religieuses. Ils y trouvent – je le leur souhaite – un sens qui va au-delà des murs de l’Université. Le nier serait aussi stupide que prétendre que l’étudiant(e) qui se sent la vocation de soigner des malades est incapable d’étudier scientifiquement les disciplines médicales.